Philiberte Peloux naquit à Propières au hameau Vermorel, en 1807. A 24 ans elle épouse Aimé Gueurce, natif de St Bonnet des Bruyères et le couple s’installe comme fermiers à Propières à la ferme de la Molière, non loin de sa maison natale. Trois garçons naissent tous prénommés Antoine : Antoine, Antoine Émile, Antoine Eugène. Peut-être Philiberte voulait-elle les mettre sous la protection de Saint Antoine ? L’histoire tranquille de Philiberte s’arrête en 1847 lorsque meurt son Aimé, suivi 4 ans plus tard par le dernier-né Antoine-Eugène. Veuve, elle se remarie en 1851 avec un veuf Jean-Marie Protery, originaire de Chénelette. Jean-Marie est bennier c’est-à-dire fabricant de bennes, spécialité des villages de St Igny de Vers, Chénelette, Propières. Cette spécialité a duré jusqu’au XXème siècle : à St Igny de Vers les derniers fabricants de bennes n’ont disparu qu’en 1960-1970, en raison de la proximité du vignoble beaujolais. Mais habile à travailler le bois, Protery est aussi charpentier ; et comme, dans les moulins, l’entretien principal est celui de la roue et de quelques pièces en bois (pannes meulières, chevilles, potence, etc.) très souvent le charpentier est aussi meunier ; ce qu’est Jean-Marie (parfois prénommé Pierre ou Claude) surtout après son premier mariage avec Françoise Berthelier fille d’un meunier de Saint Germain la Montagne ; d’ailleurs son propre père fut aussi meunier à Chénelette. Aussi, après leur mariage Philiberte et Jean-Marie achètent-ils le moulin de la Baize à Écoche où ils s’installent dès la fin 1851 avec les deux garçons Gueurce. Peut-être est-ce pour l’avenir du deuxième qu’ils achètent aussi le moulin de Goutte Michel (dit « au meunier blanc »). En attendant les deux jeunes sont ouvriers tisseurs, sans doute à Cadolon. Mais en 1862 arrive le drame. Il est relaté dans le Mémorial de la Loire et Haute Loire, journal bonapartiste qui rend compte le 19 mars 1862 d’un procès aux Assises de la Loire à Montbrison :

 

« Jean-Marie Boussat et Antoine Gueurce tous deux ouvriers et célibataires demeurant à Écoche vivaient depuis quelque temps en très mauvaise intelligence. Le dimanche 2 février dernier, Antoine Gueurce se trouvait avec son frère et deux de ses camarades Chetail et Lebutau (?), au domicile de la fille Bajard, couturière à Écoche. Vers les dix heures du soir, Antoine Gueurce et Chetail voulant se procurer du vin qu’ils devaient rapporter et consommer en commun chez la fille Bajard, se rendirent dans ce but chez un voisin nommé Auvolat, où ils trouvèrent attablés et buvant ensemble, Jean-Marie Boussat et les nommés Poizat, Bruchet et Bertillot, ses compagnons ordinaires. Une discussion occasionnée par le prétexte le plus futile s’éleva bientôt entre eux. Connaissant les sentiments d’animosité qui divisaient déjà Gueurce et Boussat ainsi que les amis de chacun d’eux, Auvolat les engagea tous à se retirer en suivant des chemins différents. Chetail et Gueurce sortirent les premiers et se rendirent de nouveau chez la fille Bajard, mais ils ne tardèrent pas à y être suivis par Bertillot, Bruchet, Poizat et Boussat. Ce dernier s’était armé d’avance d’une bêche trouvée dans la cour d’Auvolat, et dont, malgré les observations de ses compagnons, il  refusa de se dessaisir. Il prit même la précaution de la cacher près de la porte de la fille Bajard de manière à pouvoir s’en armer de nouveau en sortant de cette maison, où une nouvelle querelle, évidemment préméditée, éclata de nouveau entre les premiers et les derniers arrivés. Les efforts de plusieurs témoins semblaient cependant être parvenus à calmer les deux partis. Tous avaient même déjà quitté le domicile de la fille Bajard, lorsqu’à quelques pas de sa porte on entendit soudain un cri de détresse. Antoine Gueurce violemment frappé à la tête venait de s’affaisser    presque sans mouvement. On s’empressa autour de lui, mais déjà Poizat et Boussat s’étaient enfuis, emportant avec eux la bêche dont le second était armé, et qui fut replacée par l’un d’eux près de l’endroit d’où elle avait été d’abord enlevée.

 

La blessure reçue par Antoine Gueurce avait brisé le crâne et pénétré jusqu’au cerveau où elle avait déterminé des désordres essentiellement mortels. Trois jours après Gueurce succombait en effet aux suites de ces blessures. Aucune incertitude ne pouvait exister sur l’auteur de cet attentat : Boussat avait été vu non seulement au moment où il s’était emparé de l’arme meurtrière qu’il avait cherché à faire disparaître après le crime, mais du moment même où il s’en était servi pour frapper Antoine Gueurce brusquement et sans provocation.

 

Arrêté peu de temps après et ne pouvant nier aucune des circonstances qui établissaient tout à la fois et sa culpabilité et sa préméditation sous l’empire de laquelle il avait agi, l’accusé s’est borné à soutenir qu’il n’avait pris la bêche vue entre ses mains que dans un but de défense personnelle et qu’il ne s’en était servi que pour repousser les actes d’agression de la victime.

 

Ces tardives allégations sont démenties par toutes les circonstances qui ont précédé ou accompagné le crime ainsi que par les déclarations des compagnons même de l’accusé. La présence de ces derniers eut suffi d’elle seule pour écarter toute crainte d’un danger imaginaire. C’est en dehors de toute querelle que Boussat s’est armé, c’est en l’absence de toute provocation qu’il a frappé sa victime. L’acte qui lui est reproché ne demeure donc explicable que par l’inspiration d’un sentiment de rancune déjà ancien et qui n’attendait qu’un prétexte pour se manifester. L’accusé, interrogé par M. le président, a persisté dans son système de défense. Déclaré coupable de coups et blessures volontaires ayant occasionné la mort, mais sans préméditation ni guet-apens, Boussat a été condamné à sept ans de travaux forcés »

 

A la suite de cette affaire, Boussat, né à Mars en 1838 est emmené au bagne de Toulon dès avril puis embarque le 1er août 1865 sur la Cérès pour la Guyane. Dans sa fiche de bagnard, on y lit qu’il a là-bas une bonne conduite mais ne sait que faiblement lire et écrire. Sorti en mars 1869, il s’engage dans l’armée. Il a alors à peine plus de 30 ans. Le couple Protery-Peloux, quant à lui, a sans doute beaucoup de mal à surmonter l’épreuve. Il a du mal à faire face, abandonne le moulin vers 1870 et s’en va vivre à Fillon dans une maison qu’il partage en tant que locataire des Philibert-Batailly  avec une famille Magnin. Puis ce sont les dettes et la vente forcée de leurs moulins. Philiberte Peloux disparaît en 1882 à 74 ans, son mari meurt au cours d’un passage chez son frère à Chénelette en 1885. Qu’est devenu le frère Gueurce après 1866 où il vit encore à la Baise ? Et la couturière dont le journal ne révèle pas le prénom ?

 

L’affaire de cet assassinat semble avoir laissé moins de traces dans la mémoire écochoise que celle survenue 12 ans plus tard mais qui fit, elle, deux morts. Il est vrai que les deux protagonistes n’étaient ni l’un ni l’autre nés dans une famille originaire de la commune. Cela dit elle nous montre que les campagnes n’avaient rien à envier aux quartiers difficiles des villes d’aujourd’hui. En filigrane, on y retrouve la consommation d’alcool et l’existence de bandes rivales tout comme l’ennui d’un dimanche d’hiver. Si l’auteur de l’article semble charger l’assassin, il ne respecte guère l’orthographe des noms propres : Boussat devient parfois Roussat, Écoche est écrit avec le s final, et Gueurce prend une sonorité un peu étrange sous son écriture : Gueurtz ! Enfin rien dans le compte-rendu ne permet de situer exactement le lieu du crime, sans doute au bourg. On ne dit mot non plus des gendarmes dont une brigade réside alors sur place...