Droits de l'eau au XIXème siècle


Les nombreux cas similaires à celui décrit dans la page "histoire d'eau" amènent à se poser la question : à qui appartenait l'eau au XIXème siècle?. Un très long article paru dans la revue des Annales histoire Sciences Sociales analyse cette question en s'appuyant sur des exemples pris dans le Roussillon. Mais la réflexion de l'historienne ouvre des perspectives bien écochoises.

L'article et son plan :

Gouverner les eaux courantes en France au XIXe siècle Administration, droits et savoirs par Alice Ingold

EHESS-Centre de Recherches Historiques

Plan de l'article

  1. Gouverner les eaux (1). Entre administration et justice
    1. La « théorie des Ponts et Chaussées » : les eaux comme « ressource commune »
    2. Aménagement du Code civil et jurisprudence en faveur des droits acquis sur les eaux
  2. Les espaces fragmentés de la controverse
    1. Quand le droit s’intéresse à la reproduction des eaux
    2. « Droit d’eau » ou « règlement d’eau » ?
    3. L’appel à l’Académie des sciences
  3. Les savoirs de l’eau, entre techniques de mesure et enquête historienne
    1. Les nouvelles « concessions », un espace d’intervention pour l’administration
    2. De l’exercice d’un pouvoir collectif de la société sur elle-même : la littérature hydraulique et les communautés d’irrigants
  4. Gouverner les eaux (2). Quels collectifs pour quels cours d’eau ?
    1. Mesurer l’eau, ou comment partager administration et justice
    2. Qualifier une pénurie, entre droit d’eau et besoin en eau
    3. Quels dispositifs pour quels collectifs ?
    4. Des régimes juridiques des eaux au « régime hydraulique »

Que peut-on en extraire qui serait valable pour notre commune?

D'abord le rappel qu'après la création du Code civil qui tendait à partager l'espace territorial en deux entités : les propriétés privées et les biens publics, il en subsistait une troisième : les choses communes, notion héritée de l'Ancien Régime et variable selon les provinces. Ainsi les biens communaux (prairies, bois)  ne seraient la propriété de personne, ni de propriétaires privés ni de collectivités publiques. On comprend que le récent passage des forêts de communaux, des communautés d' habitants au conseil municipal ait fait grincer des dents : c'est la remise en cause d'un droit d'usage ou droit coutumier.

Il en était de même des eaux courantes non navigables (les navigables étant du domaine public) : qui avait le droit de les utiliser pour irriguer les prairies? D'abord les usagers anciens qui parfois avaient du mal à faire valoir leurs droits faute d'écrits conservés. Mais les nouveaux entrants? D'où les conflits. Ou les demandes explicites, comme lorsque Glatard barre le cours de la rivière Vervos aux Bruyères : y aura-t-il moins d'eau en aval et risque de pénurie? Ou le barrage sur l'Aaron qui crée l'étang de Cadolon ; mais qui fait de Glatard et de ses successeurs (Cotonière..) des non-propriétaires puisque les eaux de l'AAron sont une res communis...Problème retrouvé en 2017 lorsqu'il s'est agi de garder ou non l'étang de Cadolon.

Depuis cette époque il y eut de nouvelles lois sur l'eau et lorsque la commune d'Écoche captait les sources de Rottecorde en 1965, personne en aval ne s'était plaint des risques d'abaissement du niveau des puits, sources, fonts et autres crots -qui justement aujourd'hui disparaissent!

Extraits :

"L’usage des « eaux courantes », c’est-à-dire des cours d’eau qui sont qualifiés de non navigables ni flottables et ne relèvent donc pas du domaine public, se situe, depuis la Révolution et jusqu’en 1898, date de la première loi sur les eaux, dans un silence de l’ordre législatif. Si la délimitation des eaux relevant du domaine public est fixée par le critère de la navigation et si leur sort est assuré depuis les lois de 1790 et 1791, dans les textes du moins, celui des cours d’eau situés hors du domaine public reste en suspens tout au long du XIXe siècle. Les droits féodaux sur ces eaux sont en effet abolis, mais ni les lois révolutionnaires ni le Code civil ne fixent au profit de qui, et les conflits se multiplient entre riverains, communes et communautés. Cette question irrésolue est un nœud de litiges constants durant toute la période : le débat, dans le prolongement de celui d’Ancien Régime, divise les juristes, il alimente des controverses doctrinales qui précèdent et prolongent le débat plus général sur la propriété tandis que les tribunaux sont amenés à régler les conflits locaux, et la jurisprudence elle-même ne montre pas d’unité...........................................................................

[Un théoricien] rangeait le cours d’eau dans son entier parmi la catégorie des res communisdéfinies selon l’article 714 du Code civil comme des « choses n’appartenant à personne, dont l’usage est commun à tous et dont la jouissance est réglée par des lois de police ». .....

Mais l’article 644 affirme que « celui dont la propriété borde une eau courante autre que celle déclarée dépendante du domaine public... peut s’en servir à son passage pour l’irrigation de ses propriétés »

 

 .........le Code civil, en ouvrant des droits aux riverains, risque de mettre en péril les droits acquis et historiquement constitués des usiniers ou des communautés d’irrigants."

 

 

 

Avant

 

Après



Dans un article de 2014 de la Revue d'histoire du XIXème siècle, la même auteure précise un point important :

 

"Il faut bien évidemment souligner ici que la reconnaissance des « droits acquis » sur les eaux passe sous silence la quinzaine d’années qui sépare 1789 et la promulgation du Code civil en 1804. La protection des « droits acquis », considérés comme antérieurs à 1789, passe par la reconnaissance d’une possession immémoriale qui en appelle à la fois au témoignage et aux preuves matérielles, mais elle ne rend que très imparfaitement compte de cette période troublée de la Révolution qui a été propice à de nombreuses usurpations, au gré des rapports de force entre usagers et au sein des communautés d’usagers. Les archives ne permettent pas de reconstituer l’ensemble de ces usurpations, mais il est certain qu’elles ont été d’autant plus fréquentes que les compétences sur les eaux étaient, comme on l’a vu, partagées et conflictuelles ; certaines se sont même trouvées confirmées lors de la vente des biens nationaux"

 

Y eut-il à Écoche des "usurpateurs" des droits coutumiers ?

 


Mais les usages et droits de l'eau remontent à des époques antérieures. ainsi dans les archives Vichy numérisées par Claude Franckart, un parchemin fait état en 1404 d'un "échange à cause d'une prise d'eau dans le pré de Jean Breton de la Baise"