La succession de François Glatard : un tournant ?

 

 

François Glatard avait été nommé maire (par le préfet) en octobre 1852. Sa personnalité correspondait exactement à l’époque du Second Empire (lequel a débuté officiellement le 2 décembre 1851) : un négociant-filateur-industriel, conservateur sur le plan social, catholique à un moment où l’Église est un soutien de Napoléon III (elle le sera moins après 1860 à cause de la politique italienne de l’empereur), héritier d’un famille qui avait déjà donné trois maires à Écoche : Laurent Glatard son grand père en 1793, Pierre-Marie son père (sous Louis XVIII) puis Étienne son oncle (sous la monarchie de Juillet). Agé alors de 36 ans, il a de l’ambition politique et sera conseiller général du canton de Belmont. Il reste maire pendant 25 ans, démissionnant au début de 1877. Dans les registres d’Etat-Civil on constate qu’il avait été remplacé entre mars et mai 1871 par Félix Lachal. Si ces dates correspondent exactement à la Commune de Paris, il n’y a pas eu pour autant de révolution à Écoche. Pour quelle raison François Glatard a-t-il été remplacé pendant ce court laps de temps ? On ne sait pas. Dans les notes du Frère Avit, mariste, il est écrit " le 4 septembre [1870, fondation de la République] avait mis M. Glatard de côté]

Sa démission de 1877 en revanche surprend le préfet. Le 3 janvier, c’est encore lui qui signe les actes d’Etat Civil ; ensuite jusqu’au 1er février, ils sont signés par Hippolyte Guyot, adjoint, faisant fonction. Et le 9 février c’est un nouveau maire Félix Chetail.

 

Depuis 1874 le maire des petites communes (moins de 3000 habitants) est élu par le Conseil Municipal, et non plus nommé, mais le préfet continue d’entériner l’élection. Le Conseil municipal élu en 1874 paraît encore complétement à la main de Glatard, sinon à sa botte. En voici la composition, relevée dans les Archives Départementales (par un Écochois contributeur de ce site)

 

Conseil municipal élu en 1874 (dans l’ordre du nombre de voix obtenues lors de l’élection)

 

François Glatard, 58 ans, maire sortant, Conseiller Général, industriel à Cadolon, demeurant en son « château » des Seignes.

 

Benoît Lebreton, 48 ans, rentier au Bourg, descendant des Lebreton, ayant fourni à Écoche procureur fiscal, notaire ou apothicaire sous l’Ancien Régime puis un maire en 1848.

 

Fleury Ferdinand Guyot, 38 ans représentant en soieries au bourg, frère du notaire de Chauffailles,

 

Baptiste Fouilland, 35 ans, propriétaire cultivateur à Laval, sa petite fille épousera Émile Plassard maire de 1939 à 1965.

 

Hippolyte Guyot, 52 ans, adjoint, sonneur au Bourg, époux de la sœur du curé,  petit-fils du 1er maire d’Écoche Jean Morel ; sa petite fille est la même épouse du futur maire Plassard

 

Nicolas Troncy, 69 ans, menuisier, ébéniste, au Bourg auteur des sculptures et boiseries de l’église Saint Bonnet ; son fils est prêtre, une de ses filles, religieuse ; sa femme a été institutrice ; mais il meurt en juin 1876.

 

Félix Chetail, 50 ans, épicier au bourg, voiturier, aubergiste ; un de ses petits-fils mourra à la Guerre de 14 ; un autre sera chansonnier à Paris

 

Benoit Marie Magnin, 44 ans, propriétaire cultivateur à Fillon, neveu de Mathieu Magnin, procureur de la municipalité en 1790 et petit-fils par sa mère d’une nièce du curé François Carré ; mais il décède en novembre 1876.

 

Julien Duperron, 39 ans propriétaire cultivateur et tisserand à la Quichère

 

Jean Baptiste Paccard, 57 ans, propriétaire cultivateur à Bertillot, beau-frère de Claude Marie Brossette qui avait été maire de 1840 à 1848

 

Étienne Poizat, 58 ans cultivateur à Lardillat  dit Lachal, pour le distinguer de l’autre Poizat(en fait époux de Joséphine Lachal), et qui remplace sur la liste son beau-frère, Claude Félix Lachal décédé en 1874 (maire intérimaire en 1871)

 

Prosper Sarnin 41 ans propriétaire cultivateur à La Forest; sa grand-mère était la nièce du curé Carré ; il descend ainsi des Lebreton, notables de l’Ancien Régime, mais aussi des Guyot et Jonard maréchaux au XVIIe siècle ; son arrière-petit fils sera maire de 1983 à 1989 (Marcel Sarnin)

 

François Matray, 58 ans, fabricant textile, à Bertillot, fils de François Matray qui fut maire de 1850 à 1852 ; sa fille épouse François Morel qui sera maire de 1887 à 1892

 

Antoine Danière, 44 ans propriétaire cultivateur et tisserand au Cret-Loup ; il est le gendre d’Étienne Poizat ; mais il meurt la veille de Noël 1874 

 

Étienne Poizat , le doyen, âgé de 77 ans, habitant alors à Fillon, propriétaire, petit-fils du dernier granger du seigneur du But,  Claude Chavanon. Il mourra en 1892 dans sa 95ème année !

 

 

Ces conseillers ont été élus au suffrage universel masculin ; les inscrits étaient au nombre de 436, les suffrages exprimés, 300. La population totale s’élève en 1874 à 1680 habitants.  On constate une majorité de petits propriétaires, beaucoup de liens familiaux (exception faite de Glatard qui a épousé  une « bourgeoise » de Tarare) et aussi une certaine coloration cléricale.

 

 

 

 

En août1875, il y eut ce que les journaux ont appelé l’affaire d’Écoche, c’est-à-dire des rixes lors de la fête patronale ayant entraîné la mort de deux jeunes hommes, la condamnation de plusieurs Écochois, la révocation du garde champêtre Duranton. D’une certaine manière, Glatard est considéré par quelques-uns comme responsable. Voir la rubrique faits divers. Veuf depuis 1872, il a marié sa fille unique et se sent sans doute en décalage avec le moment politique : les bonapartistes  sont déconsidérés, les royalistes en train de perdre définitivement leur rôle en France et  la République commence à s’installer. Quoi qu’il en soit, François Glatard donne sa démission au préfet. Celui-ci essaie de le convaincre de rester, le renomme mais rien n’y fait, nouveau refus. Le 7 janvier, une séance du Conseil Municipal convoquée par le préfet ne peut qu’entendre Glatard confirmer sa démission ; les conseillers présents se retirent sans avoir désigné un nouveau maire. Le 19 janvier nouvelle réunion du Conseil Municipal, à laquelle François Glatard ne participe pas.  Il semble qu’une partie du Conseil, élu pourtant avec Glatard en 74, ait évolué vers des idées républicaines et de ce fait ait exprimé des sentiments de défiance à l’égard du maire. C’est cette fraction, emmenée par les adjoints Hippolyte Guyot et Félix Chetail qui élit ce dernier, maire (et aussi Ferdinand Guyot adjoint). Néanmoins, Félix Chetail se refuse par convenance à critiquer par trop le maire sortant, « un homme qui avait rendu à la commune les plus réels services ». La séance du 19 janvier avait dû être présidée par Étienne Poizat le doyen d’âge. Manquaient trois conseillers élus en 74 mais décédés depuis ; ils ont été remplacés (par une élection partielle) par Prosper Brossette cultivateur du Crot des Bois, 24 ans, futur gendre de Benoit Marie Magnin ; par Claude-Marie Guyot, 48 ans, rentier de Juin ; et par Jean Puillet (ou Joanny), 32 ans, employé en soieries du bourg, neveu du curé, fils de l’ancien instituteur, mais qui partira installer une usine de soierie à Cuinzier. Félix Chetail ne fut qu’un maire de transition. En 1878*, sans doute avec un Conseil renouvelé et plutôt républicain, c’est Benoît Vacheron qui fut élu maire. Benoît Vacheron, originaire de Tancon était propriétaire cultivateur à la Quichère. En 1887, nouvelle alternance avec l’élection de François Morel, nettement plus conservateur et clérical ; de nouveau un Conseil Républicain en 1892 pour élire Jules Aubonnet.

 

A noter : en 1881, Glatard essaie de revenir mais n’obtient pas assez de voix. Mécontent, il envoie au préfet deux protestations contre les électeurs d’Écoche demandant une enquête, protestations rejetées. La République était bien installée au village. Toutefois, on ne peut pas trop comparer les élections municipales de ce temps avec les clivages d’aujourd’hui, droite/gauche. Sont républicains plutôt des petits propriétaires ou tisserands indépendants qui voient dans la République une certaine égalité, une défense de la petite propriété et des professions indépendantes comme les boutiquiers. Les mêmes peuvent voter conservateur lorsque l’ordre paraît menacé. Les ouvriers semblent soit s’abstenir, soit rechercher une action syndicale. Voir à ce sujet la rubrique anarcho-syndicalisme. Et surtout les personnalités et les liens familiaux jouent un grand rôle. On peut aussi voir une sorte de répartition entre les divers hameaux de la commune, comme si le Conseil Municipal se devait être représentatif du territoire.

 

François Glatard décède en juillet 1892 à 76 ans. Félix Chetail l’a précédé puisqu’il est mort en mars 1883 à 58 ans seulement.

 

En 1877, le tournant est sans doute encore plus prononcé si l'on sait que le 4 novembre de cette année s'éteignait Mathieu Puillet, le curé, né à Écoche, vicaire 20 ans à Écoche puis curé toujours à Écoche pendant 33 ans. Et l'on voit que le conseil municipal Glatard a beaucoup de lien avec lui : l'adjoint est son beau-frère ; Jean Puillet qui rentre en 76 est son neveu ; Troncy a embelli "son" église ; et si l'on en croit les frères maristes, il a des connivences avec François Glatard (le maire et le curé ne font qu'un, dixit un frère mariste). C'était donc un enfant du pays, qui plus est celui qui a achevé la construction de la nouvelle église avec l'aide financière de son frère Benoît. Or, selon l'auteur de notes sur l'église d'Écoche, il y eut ensuite une sorte d'omerta sur ce curé Puillet sans qu'on en comprenne vraiment la raison. Peut-être faut-il la chercher dans l'arrivée de l'abbé Seytre, le nouveau curé qui tranche avec son prédecesseur : poéte à ses heures, botaniste pointu, ancien professeur, ancien prédicateur de mission à Lyon et né loin d'Écoche (à l'opposé dans le département de la Loire), il fut sans doute plus exigeant en matière de pratique religieuse et devait mener une vie moins rustique. On comprend alors qu'entre lui et les maires, la distance ait pu s'agrandir. Et même avec les frères maristes ! Selon frère Avit "..l'abbé Seytre ...bon prêtre sans doute, et d'un caractère glacial, ne paraît pas vouloir s'occuper des frères.".

 

note : théoriquement le conseiml Municipal à cette époque était élu pour 4 ans ; mais en fait en raison d'événements divers (guerre de 70 ; Commune de 71 ; installation de la République et diverse lois modificatrices), les élections municipales ne sont pas très régulières dans le temps. Il y a donc des élections en 1870 puis 1871 puis 1874 puis 1881. En janvier 1881, il y a deux listes, dont voici la composition (elles semblent opposer le maire sortant Vacheron à l'ancien maire Glatard :

Liste A : Hippolyte Guyot (tête de liste) ; Benoît Vacheron (maire sortant) ; Claude Auvolat ; Ferdinand Guyot ; Prosper Sarnin ; Benoît Chaumont ; Élie Sarnin ; Julien Duperron ; Baptiste Fouilland ; Prosper Brossette ; Jean Brossette ; Benoît Danière ; Henri Besacier ; Rémy Bruchet ; Jean-Baptiste Poizat ; Benoît Lebretton.

Liste B : (présentée par ordre alphabétique) Henri Besacier ;  Rémi Bruchet ; Félix Chetail ; Danière-Jugnion ; Simon Déclas ; François Glatard ; Claude-Marie Guyot fils ;  Ferdinand Guyot ; Hippolyte Guyot ; Benoît Lebretton ; François Morel ; Poizat-Berthier ; Poizat-Lachal ; Élie Sarnin ; Prosper Sarnin ; Jean-Marius Valentin.

 

On est surpris de voir sur les deux listes les mêmes noms pour six d'entre eux. C'est que dans les communes de moins de 3000 habitants, le scrutin était uninominal majoritaire et c'est le décompte des voix sur chaque nom qui faisait l'élection ; on pouvait aussi voter pour des personnes ne figurant sur aucune des deux listes ou panacher. Tout ceci rendait compliqué le dépouillement et explique les réclamations de Glatard. Un exemple : sur un bulletin, un électeur a voulu remplacer Valentin Jean-Marie par Valentin Jean-Baptiste et s'est contenté de barrer le prénom...

 Ont finalement été élus  dans l'ordre des suffrages obtenus (participation : 79%) :

Claude Auvolat, le Bourg, cultivateur, 58 ans

Henri Besacier, Berthillot, cultivateur, 57 ans

Jean Brossette, Crot des Bois, menuisier, 39 ans

Prosper Brossette, Crot des Bois, menuisier, horloger, cultivateur.... 36 ans

Rémy Bruchet, Berthillot, cultivateur, 44 ans.

Benoît Chaumont, Juin, cultivateur, 69 ans.

Benoît Danière le Cret Loup, cultivateur, 46 ans.

Baptiste Fouilland, Laval, cultivateur, 42 ans

Ferdinand Guyot, le Bourg, négociant en soieries, représentant, 44 ans

Hippolyte Guyot, le Bourg, sonneur et cultivateur, 59 ans

Benoît Lebretton, le Bourg, cultivateur, rentier, 56 ans

Jean Baptiste Poizat, Fillon, cultivateur, 37 ans

Élie Sarnin le Bourg, tisseur et cultivateur, 33 ans

Prosper Sarnin chez Forest, cultivateur, 49 ans

Benoît Vacheron la Quichère, cultivateur, 55 ans

Julien Duperron, la Quichère. cultivateur, 49 ans

Neuf élus exclusivement sur la liste A ; sept sur les deux listes ; personne exclusivement sur la liste B. Pour l'élection du maire, Benoît Vacheron obtient 12 voix contre trois pour Ferdinand Guyot. Le conseil paraît donc apaisé.