Les treize dévideuses.

 

 

Les dévideuses sont des ouvrières de la soie dont le métier consiste à positionner les écheveaux sur les tavelles d'un bobinoir afin de former des bobines. Elles font ce travail soit à l’usine soit à domicile et on en recensait quelques-unes à Écoche. Ainsi dans une maison du bourg vivaient au recensement de 1876 treize jeunes femmes toutes notées dévideuses. Une sorte d’atelier ; pour quel donneur d’ordre travaillaient-elles ? Elles avaient entre 12 et 34 ans et la plus âgée était aussi la « chef » du foyer. Mais le plus remarquable est qu’aucune n’était native d’Écoche. Françoise Frasse, la chef, était originaire de Saint Alban les Villards en Savoie ; la sous-chef, 31 ans, Julie Ney venait d’Annecy en Haute Savoie : toutes deux étaient donc nées avant 1860, soit alors dans le royaume de Piémont-Sardaigne (les Savoie ne sont rattachées à la France qu’en 1860). Avec elles, Louise Alone au nom italien, 25 ans légèrement handicapée, Clorinda Débérat, au prénom italien, 18 ans, Françoise Pellet 19 ans, Pauline Pin, 19 ans, Jeanne Menon 14 ans, ces trois dernières originaires peut-être de Saint Étienne en Croisset dans l’Isère à quelques kilomètres de Saint Alban, Aline Auclair 12 ans née à Annecy, Albertine Lyde, 17 ans, Adèle Médard 22 ans, Eugénie Démontel 18 ans, Antoinette Crochon 16 ans, Joséphine Mouchet 14 ans. Comment expliquer leur présence à Écoche ? Au recensement précédent elles ne sont pas là, elles sont donc arrivées entre 71 et 76. Une sorte de béguinage ? On aurait pu le penser en raison de la proximité de d’ancienne école des frères. Mais le devenir ultérieur de cette petite communauté ne semble pas aller dans ce sens puisque plusieurs de ces jeunes femmes ont fini par avoir des enfants, certaines après mariage d’autres non.  Au recensement de 1881, nos dévideuses sont toujours là, au nombre de 9 : 5 déjà présentes et 4 nouvelles ; il y a aussi un nourrisson, le filleul de la patronne, qui semble être le fils qu’aurait eu Jeanne Menon à 17 ans, laquelle a disparu d’Écoche. Parmi les nouvelles une nièce de la patronne, Joséphine Chabout, 20 ans qui venue elle aussi de Savoie se mariera en 1885 avec un Écochois. En 1886, elles sont sept encore mais en outre une pièce de la maison est réservée au jeune ménage Thivend-Chabout, comme en 1891 où les dévideuses ne sont plus que 6 dont3 seulement déjà à Écoche au début. En 1906 et 1911 elles ne restent qu’à deux dévideuses, sans doute en raison de la crise des soieries ; elles s’occupent d’un nourrisson originaire de Saint Igny de Roche et dans une pièce vit le fils Menon qui exerce le métier de charron (auprès de qui ?). Françoise Frasse décède à Écoche en 1921 à l’âge de 81 ans. Les autres dévideuses ont quitté Écoche, l’une d’elle étant retournée se mettre en ménage à Albertville après avoir eu deux enfants. Sa nièce meurt en 1961 à Écoche après avoir eu au moins cinq enfants. Joséphine Chabout était née à Sainte Marie de Cuines, commune limitrophe de Saint Alban tout comme Marie Bérard qui lui était apparentée. On peut donc penser que toutes ces jeunes femmes étaient proches les unes des autres soit géographiquement (dans un rayon maximal de 50 km autour de Saint Alban) soit par la parenté. Ces petits villages montagnards de Savoie et de Haute Savoie étaient plutôt pauvres et il était habituel que les hommes partent quelques mois chaque année pour exercer des métiers ambulants : ramoneurs, rétameurs, matelassiers (le père d’Aline Auclair était matelassier). Dans notre cas, il s’agit de femmes qui quittent leur village et qui pour certaines n’y retournent pas. La question demeure : pourquoi Écoche ? Qui les a poussées à y venir ? La raison principale bien sûr est le travail d’ouvrière en soie. Leur travail était rémunéré au poids et en 1890 une diminution de la rémunération les conduit à la grève comme on le lit dans une brochure du ministère du commerce et de l'industrie de la fin du XIXème siècle, « le 28 février 1890, des dévideuses de soie d'Écoche et Saint Denis de Cabanne se mirent en grève pour protester contre une diminution de leur rémunération : moins 0.30 f par kilo de soie dévidée. Ces 26 grévistes échouèrent puisque leur patron s'est adressé ailleurs pour faire dévider la soie ». Patron de Charlieu ou de Saint Denis de Cabanne ? En relais, peut-être Claude Paillard du But qui, contremaître et représentant en soieries, créa ensuite les entreprises Paillard de Saint Denis ?