TRANSMETTRE.

 

Au cours du XVIIIème siècle, une fois disparu, qu’avait transmis un individu ? Et à qui ? Questions auxquelles bien souvent on ne peut répondre, s’agissant notamment de la transmission des biens immatériels. Quelques indices glanés dans les documents écrits permettent d’apporter des éléments de réponse. Que trouver pour Écoche ?

 

1) L’instruction et les savoirs.

 

On constate que bien souvent un métier se transmet de génération en génération. Évidemment il y a quelques évolutions. Mais sans doute peut-on parler d’apprentissage sur le tas : des savoir-faire se transmettent de père en fils. Pas uniquement ; dans certains métiers il devait exister une transmission à des « compagnons » qui pouvaient devenir ensuite l’époux de la fille de l’artisan. C’est en tout cas ce que suggèrent quelques exemples écochois.

 

-Les maréchaux. Le plus ancien retrouvé dans les archives est un certain Jonard ou Joannard. C’est en épousant sa fille que Jean Guyot est lui aussi noté comme maréchal. Les maréchaux sont ceux qui travaillaient le fer, notamment celui des outils agricoles à une époque où le travail de la terre était essentiellement manuel. Du fer aussi dans les charrues pour les laboureurs. Du fer peut-être pour les roues ferrées car on ne trouve pas alors à Écoche de charron spécifiquement. Plus tard au XXème siècle l’artisan Sylvestre s’intitulait encore « forge et charronages ». Le maréchal apportait aussi du soin aux bêtes, par exemple pour percer un abcès...C’est dire l’importance de ce métier et à Écoche les maréchaux constituent des familles de grande notoriété, souvent également propriétaires de biens fonciers. Au moment de la Révolution, un Guyot devient membre de la municipalité.

 

-Les maçons. A la fin du 17e, Léonard Perricard est dit « maître maçon ». Son fils Jean est lui-même maçon comme le mari de sa petite fille, Nicolas Martin.

 

-Les marchands. Ils sont très nombreux. Mais leur condition est très diverse ; certains sont de simples marchands ambulants, sortes de colporteurs ou marchands de toiles saisonniers. D’autres, de génération en génération, se sont enrichis (un peu) et ont accédé à une certaine aisance voire notoriété. A Écoche ils peuvent venir de paroisses voisines ou un peu plus éloignées. C’est le cas des Batailly venus de Cublize (où se trouvait un grenier à sel) et qui épousent des Écochoises dont Marie Deschezeaux fille de notaire. C’est le cas de Laurent Glatard dont le statut ne cesse de progresser : marchand, négociant puis manufacturier. Originaire de Saint Vincent de Reins où sa famille avait d’abord servi les seigneurs de Montoux puis la fille des seigneurs de Montoux lorsque celle-ci devint la dame d’Arcinges, il épouse une jeune veuve de Saint-Igny, propriétaire foncière à Écoche. Son ascension sociale se confirme pendant la Révolution où il devient maire après Jean Morel ; il est l’ancêtre d’une véritable dynastie qui donna à Écoche au 19e trois maires dont un Conseiller Général.

 

-Les apothicaires. Les plus importants sont les Le Breton. Importants par leur rôle, par leurs propriétés foncières autour de La Baise. Ils ne sont d’ailleurs pas qu’apothicaires puisque, sachant écrire, ils furent aussi greffiers et même notaires. A ce titre les fils Le Breton peuvent épouser des filles de bourgeois de Saint Maurice les Chateauneuf. Ou d’autres apothicaires formés sur place à Écoche : Constantin, Delacoste par exemple

 

-Les notaires et greffiers. Comme on le voit avec les Le Breton, les notaires dits royaux sont en fait ceux qui savent écrire et, partant, connaissent le droit. Nombreux dans les campagnes de cette époque, ils se recrutent parmi les mêmes familles qui ont les moyens d’acheter les offices. Pour Écoche, outre les Le Breton, il s’agit des Deschezeaux ; Henry, fin XVIIème avait épousé Denise Peguin, fille et sœur d’avocats ; leur fils Pierre a de nombreux titres, comme conseiller du roy & rapporteur vérificateur des défauts en la chatellenie royale de Chateauneuf, et finira sa vie à Saint Maurice les Chateauneuf. Son parcours est significatif de la transmission des charges depuis ses grands parents Peguin ou Deschezeaux mais aussi de la transmission d’une culture et de ce fait d’une ascension sociale concrétisée par son mariage avec Catherine Bouquet fille du bailli d’Ambierle. Mais les seigneurs utilisent aussi des notaires extérieurs à la paroisse, de Belmont (Boisson), de St Vincent de Reins (Besson) ou encore de Cours (Thivend) ou d’Arcinges (les Destre)

 

- Le cas des meuniers est un peu différent. C’est aussi un métier qui se transmet souvent au sein des mêmes familles mais qui semble plus nomade comme si les propriétaires de moulins faisaient appel à des « spécialistes ». Il est même vraisemblable que certains petits moulins qui ne tournaient qu’épisodiquement sur des ruisseaux aux étiages trop faibles n’avaient pas de meunier en permanence mais qu’ainsi existait une sorte de groupe de meuniers nomades, ou parfois de charpentiers pratiquant également la meunerie. Si l’on prend l’exemple du moulin du But, à la fin du 18e pour remplacer Ovise descendant de meuniers d’Arcinges, le seigneur admodie le moulin à Jean Poulette de Vauban fils du meunier de Ligny-en-Brionnais. Parmi ses ancêtres, Milan Degueurce qui tenait à Tancon au 16e siècle le moulin du seigneur de Verpré et qui y a laissé aujourd’hui encore un toponyme : Moulin Milan.

 

 

 

2) La foi religieuse.

 

Si la religion catholique reste au 18e la seule pratiquée à Écoche, il est bien difficile de savoir précisément comment elle se transmet mais on peut penser qu’en ce domaine le rôle de transmission est joué par la famille (sans oublier les parrain et marraine) et par le curé desservant, parfois assisté d’un vicaire. Le curé joue aussi son rôle dans l’instruction voire dans la découverte de vocations sacerdotales. A la fin du XVIIIème siècle le curé Carré par exemple a deux étudiants, ses petits neveux Le Breton. Car on constate que ceux qui deviennent prêtres appartiennent très souvent à des familles qui ont déjà donné des prêtres. Autre exemple : Blaise Mathieu a succédé à Écoche en 1670 à Philibert Mathieu sans doute son oncle. On peut penser à l’abbé Morel ordonné à la veille de la Révolution, neveu et filleul du curé de Belmont, Claude-Marie Vacogne, oncle à son tour d’un autre Morel qui se fit aussi prêtre.

 

Les exemples sont assez nombreux. Ainsi Catherine Bouquet eut ses deux fils qui se firent prêtre Jacques et Claude Deschezeaux. Si un autre Deschezeaux avait été auparavant curé de Maizilly, les Bouquet furent une famille véritable pépinière de prêtres, dont un, Jacques, docteur en théologie, curé de Chauffailles était le parrain de Jacques Deschezeaux. Il est vrai que la famille Bouquet était arrivée à Ambierle pour avoir quitté le sud-ouest, terre de Huguenots, à l’issue des guerres de religion.  

 

On peut aussi citer le curé d’Écoche Boisseaud (curé de 1741 à 1765, décédé à 61 ans) qui put aider à l’instruction et à la vocation de deux de ses neveux fils de sa sœur et d’Antoine Destre notaire d’Arcinges, propriétaire à Écoche. Il s’agit de Jean Destre qui fut curé de Chénelette et d’Antoine-François Destre qui fut curé de Bussières dans le Mâconnais où il fut à son tour le maître de l’abbé Dumont qui a servi de modèle à Lamartine pour son Jocelyn.

 

Le même Jean-Louis Boisseaud a fondé à Écoche une confrérie qui est certainement aussi un instrument pour transmettre la dévotion au Sacré Cœur et à Marie. L’an 1743 le 26 mars, Mr Boisseaud curé d’Écoches, les fabriciens et les habitants réunis ensemble adressèrent une requête à Mgr l’évêque de Mâcon où ils lui exposaient que depuis longtemps ils avaient le dessein de faire ériger une confrérie en l’honneur du Sacré cœur de Jésus et Marie pour augmenter leur dévotion envers le Seigneur et sa très Ste. Or cette confrérie fut approuvée érigée dans l’église paroissiale d’Ecoches. Et en 1745 26 janvier le souverain pontif Benedictus XIV confirma et approuva cette confrérie pour la plus grande de Dieu et l’honneur des Sacrés de Jésus et de Marie.

 

 

 

3) La propriété des tenures.

 

Pour cela, on dispose de plus d’éléments grâce à des reconnaissances pour la mise à jour du terrier d’Arcinges (par exemple fonds Vichy 143.01)

 

 Au XVIIIème, même si le seigneur d’Arcinges prélève toujours les droits seigneuriaux au titre de sa « propriété éminente » héritée des temps médiévaux, on voit qu’un tenancier (ou de « propriété utile ») transmet par héritage ses biens. Ainsi dans une « reconnaissance » du début du XVIIIème (qu’on peut dater précisément entre 1710 et 1716), on trouve les « héritiers Benoît Destre », ce dernier étant décédé au cours de l’hiver 1709-1710.

 

Le cas de Claude Destre (frère de Benoît) est intéressant pour comprendre un peu ces transmissions de biens, tant par héritage que par acquisition.

 

Claude Destre est un notaire royal au service du seigneur d’Arcinges entre autres, et qui réside à Arcinges, à proximité du château.  En 1710 il est âgé de 50 ans à peu près et descend d’une lignée de Destre notaires de père en fils depuis, selon les généalogistes, François qui, fils de bourgeois de Charlieu, a épousé au XVIème siècle (1574) Jeanne Fagot d’Arcinges ; il y a eu auparavant un Me Fagot à Arcinges ; on peut donc penser à une transmission Fagot-Destre.  Notre Claude est ainsi l’héritier de cette lignée à la cinquième génération (de François à Pierre, de Pierre à Jean, de Jean à Claude, de Claude à Claude). Et pour affermir leur notabilité, les Destre aînés prennent des épouses auprès des autres notaires de la région, comme c’est le cas de Claude qui épouse Marianne Boisson, fille d’un notaire de Belmont, très lié lui aussi à la famille des d’Amanzé. Ses frères et sœurs épousent souvent des bourgeois comme Benoît, marchand, marié à Claudine Le Breton d’Écoche fille de l’apothicaire-notaire. Claude Destre peut donc être à la fois puissant localement, il est dit juge de Mars, Arcinges, Écoche, et riche foncièrement. En 1710 on le trouve dans la reconnaissance comme tenant en propriété 55 parcelles de diverses natures, principalement au village Fillon/Boland d’Écoche.

 

Au XVIème et XVIIème, ici, dans ce qui est aujourd’hui le hameau Fillon, vivaient principalement des familles Boland, ce qui explique qu’on dénommait le hameau : « maisons Boland », « village Boland » et au XVIIIème on écrit encore village Boland ou Fillon. Mais il n’y a plus qu’un propriétaire de ce nom Antoine Boland. Selon un érudit local Armand Accary, « Toute l'histoire des Amanzé de Choffailles se résume à des abus et spoliations commis envers de nombreuses familles de la contrée : Les Bosland d'Écoches en 1576, La famille du Notaire Couturier de Chateauneuf en 1596 ; François (1624, 1632), Labrosse et Martin (1608) à Chauffailles et bien d'autres familles eurent à souffrir de cette famille, y compris des nobles comme le Sgr de Lamotte Camp à Mars en 1611. »  

 

 [ ref page URL : http://aec.accary.free.fr/index.php?page=sgnchf ]

 

 

 

Les Boland ont peut-être plutôt perdu leurs biens au profit des notaires du seigneur. En effet le document en question donne l’origine des biens cent ans auparavant soit vers 1609. Les 55 articles de Claude Destre proviennent de pas moins de 167 articles des précédentes reconnaissances. On voit par là un regroupement important de parcelles au profit du notaire (sans doute plutôt son père ou grand-père). Les propriétaires en 1609 des parcelles étaient 16, répartis ainsi : Hugues et Claude Bosland ensemble pour 49 articles ; Claude Bosland l’aîné pour 23 articles. Les autres dans l’ordre d’importance : Antoine Fonteret dit Fillon, Messire Dessertine, Léonette veuve Mercier, héritiers Delorme, Philibert Fonterest, Catherin Faure, Antoinette Fontimpe, Benoit Auvolat, héritiers Delacroix, Françoise Auvolat, Michel de Laval, Guillaume Fonteret, Benoît Reverchon.

 

 Le transfert Boland-notaire du seigneur est clair. Et pourtant les Destre n’ont pas tout racheté puisque dès le début du XVIIème siècle un autre notaire du seigneur Me Pezeau possédait déjà des parcelles venant des Boland. Enfin dans le document de 1710, d’autres parcelles des mêmes Boland sont passées à un marchand d’Arcinges demeurant au village Tupinet, en-dessous du château, André Poizat, qui en possède 36 (33 venues de Claude Boland l’aîné, 3 de Hugues et Claude). Les Boland possédaient encore d’autres parcelles aux Ardillats, à Laval ou à Fonterest : elles passèrent à divers tenanciers, dont Morel à Laval ou Benoit Destre, le frère de Claude à Fonterest.

 

Du reste, ces transferts de propriété n’étaient pas nouveaux. Ainsi en 1609 on notait parmi les propriétaires à Écoche : Me Hugues Pezeau, notaire et commissaire à terrier, Messire Estienne Dessertine, prêtre (curé d’Arcinges ?), Honnête Pierre Dubost bourgeois de Beaujeu, Sieur Claude Chappuis marchand de Villefranche, héritiers de Messire Pierre de Sirvinges, honnête Jacques de Sirvinges bourgeois de Charlieu, Jeanne de la Gressery (de Belleroche ?), Me Jean Patin procureur de Charlieu.

 

Au 18e Me Claude Destre possède ainsi au village Fillon trois grosses maisons à étages dont une en mauvais état, entourées de jardins, un bâtiment indépendant de grange et étable, plusieurs verchères (terres de bonne qualité souvent closes de murets), deux chenevières (culture du chanvre) et au total à Écoche -à Fillon et alentour- des terres, des prés, des bois pour une superficie estimée à cinquante-deux de nos hectares, ce qui est très important à l’époque. Ils se décomposent ainsi : champs cultivés pour 31 ha ; prairies de fauche 4 ha ; pâquiers (pâtures) 1 ha ; bois taillis et friches 16 ha. Comme pour l’ensemble de la paroisse, l’essentiel est destiné à la culture, ce qui suppose l’installation d’au moins un granger à Fillon. Plusieurs parcelles notamment de bois ne sont qu’une partie du bois, partagé en indivision avec d’autres tenanciers, souvent le voisin André Poizat.

 

Claude Destre meurt dans la force de l’âge à 57 ans en 1716 et, si c’est son fils, Antoine-Claude, qui hérite de l’office notarial, car ayant épousé une Boisseau de Saint-Maurice, fille de notaire, petite nièce du curé d’Écoche, alliée aux Le Breton, il semble en revanche que les biens fonciers et immobiliers soient dans un premier temps restés indivis entre les héritiers. Ensuite une bonne partie des biens furent acquis par Henry Vermorel, marchand, fermier du château d’Arcinges. Vermorel était très intéressé par ces propriétés puisqu’il avait épousé la fille de l’autre gros propriétaire du village Fillon le marchand André Poizat. Mais au moment de la Révolution les biens furent de nouveau divisés entre les enfants des filles Vermorel qui pour certains résidaient cette fois sur place, Arcinges perdant après 1793 sa « centralité » seigneuriale. Outre Henri Vermorel, avaient également acquis des biens écochois des héritiers de Claude Destre au cours du 18e : Claude et Philibert Morel de Laval, Pierre Dinet et Jean Perricard de Fonteret, Antoine Brossette (père et grand-père de deux futurs maires), Laurent Ferrand tailleur d’habits d’Arcinges, Adrienne Coillard de Belmont.

 

Alors que Claude Destre avait pu regrouper d’anciennes parcelles à la fin du 17e, à l’inverse à la veille de la Révolution il y a, en apparence, un nouveau morcellement. En apparence seulement car certaines acquisitions furent regroupées avec d’autres biens par les Morel, Perricard ou Brossette. Ces trois familles furent d’ailleurs importantes dans la vie municipale d’Écoche au tournant du siècle : Jean Morel maire en 1790 ; le petit-fils de Perricard, Guillaume Verchère, adjoint jusqu’en 1812 ; le fils puis le petit-fils Brossette, maires à plusieurs reprises jusqu’en 1848.