L’Eglise d’Écoche est sous le vocable de Saint Bonnet ; on parlait alors (avant 2016) de la paroisse Saint Bonnet, du cercle catholique Saint Bonnet. Pourquoi ce patronage ? Dans l’Église catholique tout nouveau sanctuaire n’est véritablement sanctifié qu’au moment où une cérémonie le consacre ; cette cérémonie est une dédicace ; au cours de cette dédicace, l’église se dote d’un « patron » qui devient son vocable : pour Écoche l’église actuelle, consacrée au milieu du XIXe siècle reprend le vocable de l’ancienne (en partie seulement), celui de Saint Bonnet. Mais une tradition corroborée par un acte de catholicité du XVIIIe laisse supposer que l’ancienne église avait deux patrons : Saint Bonnet et Saint Genès.

 

Saint Bonnet est assez bien connu et nombre de villages portent son nom : Saint Bonnet de Cray, Saint Bonnet le Troncy, Saint Bonnet des Bruyères pour citer les plus proches. A noter que l’église de Vougy est aussi sous le même patronage. Selon le martyrologe romain :

 

 Bonet ou Bonnet, auvergnat de naissance naquit vers 623 dans une famille d'anciens sénateurs romains. Il fit des études remarquables pour l'époque : grammaire, droit et sans doute rhétorique. Il se préparait ainsi à une carrière à la cour du roi. Il servit comme échanson de Sigisbert III et de Thierry III. Il devint préfet de Marseille (vers 677). Il géra cette ville avec beaucoup de douceur, s'opposant au commerce des esclaves. Il pratiquait un ascétisme sévère.
Son frère Saint Avit était alors évêque de Clermont. Se sentant près de sa fin, il demanda son frère comme successeur et obtint l'accord du roi pour cette nomination épiscopale. Avit mourut rapidement et Bonet devint évêque de Clermont vers la fin de 690. Il continua de vivre pauvrement en jeûnant plusieurs jours par semaine. Sa nomination par son frère lui causa des scrupule s: il démissionne et se retire à l'abbaye de Manglieu dans le Puy-de-Dôme. Il entreprend le pèlerinage de Rome, au passage il passe par Lyon où il apaise un conflit entre l'évêque et le duc des Burgondes. Il poursuit son chemin jusqu'à Rome et la légende rapporte qu'en chemin il racheta de nombreux captifs pour les libérer. A son retour il s'installe à Lyon. Il y meurt vers 706.

 

Nous connaissons son histoire par un récit composé par un moine de Manglieu vers 715.

 

Que 39 communes en France portent le nom de Saint Bonnet et que de nombreuses églises lui soient consacrées indique combien son culte fut populaire aux temps du Moyen Age.

 

Saint Genès est en revanche un peu moins connu. En fait, il en existe plusieurs et de surcroît orthographiés de façon variable selon les régions : Genès, Geniès, Genest, Genis, etc. Le nombre de communes qui portent ces noms est également important, principalement dans la moitié sud de la France. Selon le site Nominis, ils sont au moins cinq : Genès martyr en Auvergne au IIIe siècle, Genès, évêque de Lyon (mort en 678), Genès d'Arles, greffier ou notaire, martyr à Arles (mort en 308), Genès de Rome, comédien, martyr à Rome (IVe siècle), Genet, évêque de Clermont (mort en 662). Il est donc impossible de dire lequel est invoqué à Écoche, d’autant plus que souvent leurs vies ont été confondues, se chevauchant dans la mémoire. Retenons celui d’Arles dont le culte fut très répandu. D’après Nominis : On pense que Génisius vivait vers la fin du IIIe siècle de notre ère, à l'époque où Aurélien imposait régulièrement des édits de persécution contre les chrétiens. Genest sympathisait avec eux sans être lui-même baptisé. Ses fonctions au tribunal romain consistaient à consigner les dépositions des témoins, les réponses des accusés et la sentence des juges au moyen d'abréviations, de signes appelés nota (d'où le nom dérivé de notaire) qui rendaient l'écriture aussi rapide que la parole. Un jour, la compassion et la révolte l'emportèrent: Genest refusa de tracer sur les tablettes de cire la décision du juge qui était la sentence de mort. Il s'enfuit et traversa le Rhône à la nage. Rejoint par les bourreaux, il fut décapité à Trinquetaille, près d'un mûrier.

 

Les autorités chrétiennes jugèrent qu'il venait de recevoir le baptême du sang et le sanctifièrent. Son corps fut ramené sur la rive gauche et inhumé dans la nécropole des Alyscamps. Les deux lieux de son martyre furent ensuite l'objet d'un culte et cette situation d'une ville double, sanctifiée par le sang et par le corps de Genest, fut fréquemment évoquée par des auteurs chrétiens aux Ve et VIe siècles.

 

Reste-t-il quelque chose à Écoche de Saint Genès, si ce n’est un vague souvenir transcrit dans une petite brochure des années 1990 due à Lucienne Auclair-Stoffel ? A moins que le tableau déposé depuis quelques années au fond de l’église côté nord soit un double portrait de nos deux saints ; on y voit un évêque (avec mitre et crosse) qui doit être Saint Bonnet et devant lui un jeune homme qui tient dans la main une palme et est revêtu d’une tunique rouge tandis qu’un tissu bleu se présente comme son manteau relevé. S’il est de tradition que Saint Genès (celui d’Arles comme celui de Rome comme celui de Thiers)  mourut jeune, ce pourrait bien être lui portant bien droite la palme du martyre. A Saint Geniès la Tourette sa représentation sur un vitrail est très proche : jeune homme, avec la palme, la tunique rouge et le manteau bleu . En outre, ce saint est fêté le 25 août comme Saint Louis, ce qui pourrait expliquer la confusion faite en 1804 par l’abbé Dumas qui, lors de sa visite à Écoche, évoque ce tableau et pense à Saint Louis.

 


Sur un site internet de Saint Genes la Tourette dans le Puy de Dôme

Le tableau d'Écoche, le 15 juin 2021



Sans rapport avec Écoche, Rotrou au XVIIe siècle (1646, le curé d'Écoche est alors Philibert Mathieu) reprend la vie de Genès le Romain pour en écrire une tragédie "le véritable Saint Genest."

Un peu oubliée cette tragédie fut reprise par la Comédie Française en 1988, sans que le critique du Monde en soit bien convaincu. Voici la critique publiée dans le Monde, le 9 mars 1988 :

Sartre, canonisant Jean Genet, a emprunté à Jean de Rotrou _ contemporain de Corneille et, comme lui, protégé de Richelieu _ le titre d'une de ses tragédies. Ce qu'ignorent, à juste titre, des générations entières. Après Venceslas, Cosroes, deux pièces non moins oubliées, le Véritable Saint Genest, comédien et martyr entre donc au répertoire du Français.

Créé en 1646, la pièce, par la suite, connaitra une certaine vogue au dix-neuvième siècle. Plus près de nous, c'est, dans les années 60, un jeune metteur en scène péruvien, Rafaël Rodriguez, qui la ravivera, avec, dans le rôle de Genest, Pierre Debauche.

Cette tragédie en cinq actes s'apparente tout à la fois à l'Illusion comique et à Polyeucte. On ne sait pas très bien si Corneille et Rotrou étaient vraiment amis, mais Rotrou, dès le premier acte, rend hommage à Corneille. L'action se passe en Asie mineure, sous l'Empire romain, du temps de la persécution des chrétiens. La fille de l'empereur Dioclétien, Valérie, se souvient, effrayée, d'un songe où elle a vu son père offrir sa main à un berger. Or elle aime Maximin, couvert de gloire et du sang des chrétiens. Mais coté coeur, tout s'arrange très vite. On s'apprête à célébrer les noces dans l'allégresse et, pour ce faire, Dioclétien fait appel à son comédien favori : Genest. On hésite sur le sujet digne d'être représenté. Genest plaide la valeur sûre, Dioclétien la nouveauté, plus vif " aiguillon " de l'esprit et des yeux. A la demande de Valérie, on s'accorde sur la tragédie d'Adrian, officier chrétien et martyr. L'inflexibilité superbe de Maximim sera ainsi à l'honneur.

Survient alors un événement non prévu dans le scénario : Genest jouant Adrian est touché par la grâce divine, il renonce à feindre. Il en mourra, martyr et acteur d'" un spectacle sanglant " donné au peuple, pour reprendre les mots mêmes de Maximin, chargé de clore la pièce par une sorte d'hommage ambigu :

Et il a bien voulu, par son impiété,

D'une feinte, en mourant, faire une [vérité.

Célébré, protégé pour son grand art de l'imitation, Genest meurt donc au théâtre et, dans le même temps, à la vie. Tel est le thème, tragique, entrecoupé toutefois de véritables scènes de genre sur le métier de comédien.

Le théâtre se donne en représentation, le théâtre est le monde, or le monde est illusion : dans cette ronde infinie, les rôles se dédoublent. Dieu lui-même, dans la bouche de Genest, est " un céleste acteur " qui ordonne : " Tu n'imiteras point en vain. " Et l'imitation, on le sait, est une " méthode " d'approche de la foi, un exercice religieux.

Sans extase

La " sensible et sainte volupté " qui saisit le comédien Genest au moment de sa conversion n'a visiblement pas passionné outre mesure le metteur en scène André Steiger. Michel Aumont ne la joue pas, mais reste sur un même registre pendant la quasi-totalité du spectacle : passé le premier moment, emphatique, où il fait que porter sa voix, face au public, comme il était de mise autrefois à la cour, il persiste dans une attitude ambiguë, à mi-chemin du comédien qui ne sait pas son rôle par coeur, et du converti qui écoute les paroles divines qui lui sont dictées. La tragédie repose sur lui, il ne la transfigure pas.

Pour le reste, dans le décor simple, immuable, de Claude Lemaire _ un péristyle classique, et un théâtre antique, _ les aires de jeu sont délimitées : dans l'arène, les comédiens ; sur les gradins, la cour, dans des costumes dix-septième siècle. Un parti pris qui a peut-être conduit André Steiger à retenir le jeu de cette assemblée donnée comme familiale, bon enfant, à ne pas creuser le contraste entre leurs mines d'amateurs d'art et leur véritable nature d'oppresseurs de la liberté de pensée. Dommage pour tous : Francine Berger, Simon Eine (Maximin), Claude Mathieu (Valérie) et François Chaumette, dont c'est la dernière apparition sur la scène du Français, dans le rôle de Dioclétien.

Le Monde