Embrouilles chez les seigneurs


Ci-dessous, on a recopié un texte paru en 1929 dans une revue de Marcigny. Ni la date ni la nature du texte ne sont précisés ; on dirait une enquête policière, ou des minutes d'un procès ; sauf les dernières lignes qui semblent du transcripteur de 1929. Le notaire Boisson qui dépose au départ est mort en 1708 ; l'affaire a lieu 22 ans avant sa déposition,c'est à dire avant  1686. Il s'agit d'une histoire de famille des seigneurs d'Écoche, la famille d'Amanzé ; leurs possessions foncières sur la paroisse étaient étendues (bois de Rottecorde notamment).

 

M. François Boisson, notaire royal de Belmont, dépose qu’il y a environ vingt-deux ans qu’il fut avec défunte dame Françoise de Damas, femme du sieur de Chauffaillespère, dans son cabinet voir de certains terriers, où il observa que sur la table dudit cabinet il y avait des piles d’écus blancs rangés en droites lignes, n’en put savoir le nombre, croit seulement qu’il pouvait y avoir 5 à 600 livres, et depuis le décès de ladite a ouï dire par bruit commun, tant des domestiques de la ùaison qu’autres personnes, que dame Gabrielle d’Amanzé, femme du sieur de Saint-Georges, avait emporté quantité d’argent de la maison de Chauffailles, qu’elle prenait ou que son père lui donnait.

 

-Dépose encore qu’étant avec défunt messire Antoine d’Amanzé dans sa chambre, quelque temps après l’assignation à lui donnée à la requête de ladite dame Gabrielle d’amanzé, ledit seigneur de Chaufailles lui dit que le sieur de Saint-Georges avait tort de se plaindre et qu’il croyait avoir bien partagé ses biens. Qu’un autre jour étant encore audit château de Chauffailles, ledit sieur d4amanzé et le sieur d’Arcinges, son fils,firent voir au déposant un testament reçu Decligny duquel ils disaient vouloir se servir étant selon la volonté dudit sieur père et disaient encore qu’il y en avait eu un de ladite défunte dame de Damas, qui était adhiré et quelque temps après le sieur d’Arcinges passant de la chambre de son père en une autre chambre, il dit au déposant qu’il avait trouvé la pièce en question, ne sait le déposant de quoi il voulait parler et crut pourtant qu’il entendait parler du testament de ladite dame.

 

Jesn Servajon, tisserand demeurant à cours, dépose que quelques mois avant le décès du défunt sieur de Chauffailles, étant audit château de Chauffailles, il ouït que le sieur de Chauffailles se fâchait contre le sieur d’Arcinges de ce qu’il lui avait pris de l’argent.

 

Claude Peguin, avocat au parlement, lieutenant en la châtellenie de Châteauneuf, dépose qu’il a appris par la bouche de dame Lucresse de Sirvinge, veuve de messire Claude D’Amanzé, qu’après le décès de messire Antoine d’Amanzé père, le sieur d’Arcinges son fils fit apporter par le maître qui enseignait aux enfants du sieur comte de Chauffailles, nommé Galland, en la maison de ladite dame, appelée la Motte, un sac où l’on connaissait qu’il y avait des cassettes, le tout de poids considérable à faire croire qu’il y avait autre chose que des papiers et que peu de jours après le sieur d’Arcinges les retira. Dit encore que faisant voyage avec le sieur d’Arcinges en la ville de Lyon, parlant des affaires de leur maison, le sieur d’Arcinges luis dit que lors de l’inventaire que le sieur de Saint-Georges avait requis des effets de défunt son père ; il se trouva à Mâcon et que prévoyant bien qu’on viendrait voir toutes choses et inventorier tous les papiers, il hâta son voyage et s’en vint nuitamment avant que ceux qui devaient vaquer audit inventaire se missent en chemin et qu’étant à Chauffailles il fit lever le pont et ôta tout ce que bon lui sembla et qui lui pourrait appartenir à cause, disait-il, de la société qu’il avait contracté avec son dit père et le déposant luis ayant demandé ce qu’il était du testament que l’on prétendait avoir été fait par sa mère au profit de Mme de Saint-Georges, il répondit qu’il n’y en avait point, qu’il avait vu et visité tous les papiers sans y avoir rien vu de pareil et qu’il savait très bien qu’il ne s’y en trouverait pas, qu’il ne savait pas si son père (supposé qu’il  y en eut un) ne l’aurait pas jeté au feu.

 

Témoigne encore qu’il avait dessein de changer de nature aux obligations qu’il pouvait avoir, faisant obliger ceux qui pourraient devoir à son père, en son nom afin mettre en sûreté ce qu’on pourrait lui disputer, et qu’il avait tâté le pouls au nommé Buchet, notaire royal, pour avoir certaines révocation d’un testament que le déposant ne peut bien spécifier.

 

Avant de se retirer, a ajouté que les termes propres esquels le sieur d’Arcinges s’explique à lui touchant ledit testament furent que quand il y aurait eu un testament que son père n’aurait pas été assez sot pour le faire paraître et qu’il lui aurait été aisé de le brûler, voyant bien que cela aurait fait passer  le bien en des mains étrangères, mais qu’il savait bien qu’il ne paraîtrait point, ce qu’il disait en riant.

 

Me Léon Thivant, notaire royal demeurant à Lyon, dépose qu’il entra au service du comte de Chauffailles environ 2 mois après le décès de ladite dame Damas sa mère, où il a demeuré pendant 5 années, faisant ordinairement sa résidence dans le château de Chauffailles, pendant lequel temps il a ouï dire au sieur Vachon que la dame de Saint-Georges serait dans peu de temps la plus riche dame de ce pays-là, qu’il a ouï dire aussi à plusieurs personnes que ladite dame de Damas avait fait un testament au profit de la dame de Saint-Georges quelque temps avant de mourir ; que depuis qu’il a été dehors du service d u sieur comte de Chauffailles, le nommé Boisson, notaire de Belmont, lui dit dans sa maison audit lieu, que M.d’Arcinges et Mme la comtesse de Chauffailles (Marie-Anne Rolin) étaient très bons amis et que le sieur d’Arcinges, en sa présence, étant dans la salle basse du château de Chuffailles, avait dit à ladite dame comtesse : « Monsieur et Madame de Saint Georges nous veulent tourmenter, mais je les en empêcherait bien, voilà le testament que ma mère a fait avant que de mourir à leur avantage, mais ils ne le verront jamais », qu’il sait très bien que les dits sieur et dame de Chauffailles père et mère, étaient des gens très puissants, jouissant de plus de 10 000 livres de rente en fonds de terres, faisant très peu de dépenses dans leur maison et  ne vivant que de présents ; qu’il a ouï dire que dans le cabinet du sieur de Chauffailles père, il y avait une taupière ou monceau d’argent, qu’il y avait une grande quantité de papiers et que c’était l’une des plus puissantes maisons de la province.

 

Nicolas Allègne, maître arquebusier, demeurant à Charlieu, dépose qu’il y a environ deux ans, qu’étant dans la ville de Charlieu, avec un nommé... au logis du Griffon, ils y firent rencontre du sieur d’Arcinges lequel parlant avec eux de choses indifférentes, leur dit : « Tel que vous me voyez, j’ai gagné aujourd’hui 600 écus » et le déposant et ceux qui étaient en sa compagnie, lui ayant demandé si c’était au jeu ou par quelques acquisitions qu’il eut faites, il leur répondit que non, mais qu’il avait gagné cette somme, en ce que cherchant dans les vieux papiers de sa mère, il avait trouvé une obligation de 600 écus, ne dit point au déposant qui était cette obligation, mais dit seulement qu’il en serait bien payé et qu’il n’y perdrait rien.

 

On le voit, la succession Amanzé-Chauffailles comportait d’importantes valeurs mobilières, que le sieur d’Arcinges fit disparaître. Mme de Saint-Georges fut certainement frustrée des avantages contenus dans les testaments de ses parents et d’une part importante de sa légitime, consistant précisément dans ces valeurs mobilières.

 

Jean d’Amanzé sieur d’Arcinges, nous semble avait peu différé de son frère Basile d’EStieugues, quant aux moyens.

 

C’était le grand moment de « l’affaire des poisons ». La « poudre d’héritage » était fréquemment employée dans les grandes familles et jusque par les princes du sang. Deux frères du sieur d’Arcinges,  Jacques d’Amanzé, époux de Marie-Anne Rolin et Claude d’Amanzé, époux de Lucrèce de Sirvinges, moururent simultanément au moment même du procès.

 


Ce récit romanesque paraît en fait romancé ; qu'y a-t-il de réel dans cette histoire de fraude à l'héritage? Peu importe finalement pour les détails mais cet épisode met en scène des personnes qui ont un lien avec Écoche. D'abord la famille d'Amanzé qui est décrite ici comme très riche (pour l'époque et pour la région). Ensuite les "bourgeois" qui gravitent autour du château de Chauffailles s'insèrent dans les réseaux familiaux évoqués à la rubrique municipalité à la Révolution. Ainsi , le notaire Boisson est le neveu de Philiberte de Saint Lagier, aïeule des Batailly qui s'installent à Écoche. Sa fille se marie avec le notaire d'Arcinges et d'Écoche, Destre ; son petit-fils avec la fille du notaire de Chateauneuf, soeur du curé d'Écoche  Jean-Louis Boisseau. Quant à Lucrèce de Sirvinges, elle a bel et bien existé et sa nièce a été l'épouse d'un Brossette. Claude Peguin était lié avec Pierre Deschezeaux notaire à Écoche et il fut le parrain de sa fille Nicole.