Une usine fantôme ?

 

Jacques Lépine a pu consulter auprès des Archives Départementales de la Loire (et nous le remercions de nous l'avoir communiqué) un acte notarié de 1837 détaillant un partage de la famille Poizat de Fonterest (Aimé Poizat le propriétaire qui partage ses biens entre ces cinq enfants est l’arrière-petit-neveu  de François Carré le dernier curé d’Écoche de l’ancien Régime) dans lequel il est question d’une usine dite de Roche, située à proximité du hameau de Fonteret. On ne précise pas quelles fabrications sortaient de cette usine ni à qui elle appartenait. On précise simplement qu’elle était alimentée par un béal sortant d’une écluse.

 

Dans la liste des servitudes, il est écrit ceci : « le grand bief au nord du pré du moulin qui reçoit les eaux venant de l'usine de Roche, et conduit du matin au soir en tournant au nord à travers les prés ....et la pâture ...., jusqu'au pré, sera maintenu sur une largeur d'un demi mètre et sur une profondeur d'un cinquième de mètre, et sera  entretenu sur son terrain par chacun des propriétaires . Les eaux qui y flueront appartiendront ..., depuis le lundi matin le jusqu'au mardi à midi, au ... depuis le mardi à midi jusqu'au vendredi matin, et au ... depuis le vendredi matin jusqu'au lundi matin. Dans tous les cas où l'usine de Roche viendrait à s'anéantir, ce grand bief ne devra pas moins être alimenté, et pour cela il devra recevoir les trois-quarts des eaux que fournit le ruisseau et qui tombent dans le chemin des deux portions de pré des rivières. »

 

L’expression mise en caractère gras par nos soins indique clairement un établissement fragile.

 

Par déduction on peut la situer facilement au sud-ouest du hameau actuel de Fonteret, près du ruisseau aujourd’hui dénommé le Pontbrenon. Si on consulte le plan cadastral établi en 1833 soit quatre ans avant cet acte de partage, on y voit nettement une écluse et un bâtiment où pouvait se trouver la roue. Le lieu est dit à cette date (dans l’acte notarié) pré du moulin. C’est qu’effectivement  longtemps auparavant il y avait déjà eu un moulin. Mais au XVIIIème siècle le terrier d’Arcinges précisait que ce moulin ne fonctionnait déjà plus : « pré où il solait y avoir eu un moulin ». L’écluse visible sur le plan cadastral, de belle forme, ne pouvait donc être que récente en 1833 et correspond très probablement à notre usine dite de Roche.

 

Mais alors à quoi servait-elle ? Certainement pas à la meunerie sinon elle aurait été dite « moulin ». On peut penser à un début d’usine textile ou à une scierie ; sur le plan le bâtiment de forme carrée ferait pencher plutôt pour du textile ; à la même époque Pierre Marie Glatard commence à installer sa filature de coton à Cadolon...

 

Mais alors quel propriétaire ? Au début de l’acte il est question assez  mystérieusement d’un « traité intervenu entre eux [les enfants Poizat] et Pierre Marie Aimé Poizat, leur père et beau-père et Mr François Frédéric Ravier de Chauffailles, à la forme d’un acte reçu du même notaire le vingt neuf novembre précédent ». Or ce François Frédéric Ravier est un personnage intéressant et semble bien être le bon candidat comme propriétaire de la dite usine de Roche.

 

Né en 1796 à Sarry en Saône et Loire François Frédéric Ravier est un personnage balzacien typique de ces bourgeois passés allègrement de l’ancien Régime  à la Restauration et à la monarchie de Juillet. Il est le fils du « châtelain » de Magny à Sarry ; une brochure sur les châteaux de Saône et Loire précise : « Le château du Magny fut vraisemblablement construit au XVIIe siècle pour Philibert Ravier, fermier des seigneurs de l'Aubespin pour les Terres de Sarry, qui s'est enrichi personnellement au XVIIIe siècle. En 1793, le château fut mis sous séquestre car deux membres de cette famille, deux frères, avaient combattu à Lyon contre la Convention, dans l'armée de Précy. L'un des deux frères pris les armes à la main, fut fusillé dans la plaine de Brotteaux, l'autre réussit à s'enfuir et s'enrôla dans l'armée des Alpes où il devint officier, ce qui lui permit de se faire rayer de la liste des émigrés en 1799. La famille Ravier s'installera à Lyon, mais conservera longtemps ce château comme résidence de campagne ». François Frédéric se marie à la clayette en 1817 avec la fille d’un avocat* ; à cette date il est simplement qualifié de bourgeois. Puis il vient s’installer à Chauffailles où il est tantôt qualifié de banquier, tantôt de filateur de coton tantôt de négociant. Il est même nommé maire de Chauffailles de mars 1835 à juillet 1838. Il voit grand et achète tout autour des terrains : à Belleroche, à cours, à Écoche... Sans doute pour y établir des manufactures. Un de ses cousins Philippe Loreton-Dumontet, témoin à son mariage possède lui aussi des scieries à Propières, des domaines et des bois. Lorsque Loreton-Dumontet met en vente quelques hectares de forêt, c’est Ravier lui-même qui sert de caution. Mais toutes ces entreprises semblent tourner court dès 1838 puisque François Frédéric ne peut payer tous ses achats et fait faillite. Dans un compte rendu de décision judiciaire on apprend que des biens achetés à Écoche provenaient d’une dame Chataignier veuve de Claude Thivend (mort en 1830, cabaretier à Écoche).

 

Bien entendu François Frédéric put rebondir en affaires  à Lyon... mais c’est à Bastia qu’il décède à l’âge de 54 ans.

 

Quoi qu’il en soit de ce parcours bien dans l’époque, il n’est passé par Écoche que bien fugitivement. Aujourd’hui à l’emplacement de cette usine qui n’a pas dû fonctionner beaucoup, tout bâtiment a disparu, les derniers occupants d’une maison sise à cet emplacement, le couple Bernay, sont morts depuis bien longtemps (Joseph le fils durant la guerre de 14, Pierre le 22 avril 1926 et Euphrosie en 35 ou 36).

 

*Son beau-père (Claude Geoffroy) appartenait à une lignée de notaires, avocats et autres bourgeois de robe, influente dans le Brionnais et le Haut-Beaujolais. Or au moment de la faillite de Ravier, ses créanciers se retournent vers son épouse Claudine Geoffroy, ce qui tendrait à prouver que les propriétés d'Écoche de Ravier pourraient provenir de la famille de son épouse ; en remontant, il n'est pas impossible que le père Geoffroy ait acheté ces propriétés lors de la vente des biens de la famille de Vichy, notamment puisque le notaire des Vichy qui procéda à une partie des ventes était celui de St Christophe en Brionnais (Berland). Enfin en 1831 Ravier avait revendu quelques terrains d'Écoche -sans doute proches de Cadolon ou du bourg au maréchal-ferrand Joseph Guyot et à Glatard.

Les descendants de Ravier n'eurent plus rien à voir avec Écoche mais plusieurs de ceux-ci continuèrent dans l'industrie : soieries à Lyon, chemins de fer à Montluçon...une arrière-arrière-petite fille de Ravier épousa Panhard le célèbre constructeur d'automobiles.