La voix et le pain.

 

Peut-être sont-ils aujourd’hui peu nombreux les Écochois qui se souviennent de Louis Sarnin, mort en 1996.

 

 Ce fut le dernier boulanger d’Écoche. Sa boutique se situait à la sortie du bourg, route du Cergne. C’était une petite boutique en rien comparable avec les grosses boulangeries de nos jours, et sans véritable devanture ; sur la rue une porte simple et une fenêtre, à peine quelques petits panneaux publicitaires*. On entrait, les étagères à pain étaient situées à droite le long du mur ; en face de la porte se trouvait la petite banque surmontée de la balance et derrière laquelle se tenait la boulangère (Claudia, née à Cuinzier) ; sur le côté quelques produits d’épicerie : le café en grain « Amigo » ou « Maurice », les flans en poudre ... A gauche en entrant, la porte du fournil parfois ouverte laissant voir le travail de Louis Sarnin et échapper de bonnes odeurs. Derrière la boulangère une cloison à mi-hauteur en bois et verres de couleur séparant à peine la boutique de la cuisine. Contre cette cloison une étagère remplie de petits carnets. Le petit espace dévolu à la clientèle était vite plein surtout les dimanches et chacun se servait, posait son –ou ses- pain(s) sur le plateau de la balance (l’obsession de l’hygiène n’avait pas encore pénétré les campagnes**). Parfois certains, plus difficiles, demandaient à la boulangère d’aller voir s’il n’y avait pas un pain plus cuit ou moins cuit, selon les goûts, et la porte du fournil s’ouvrait. Les pains, c’était surtout des pains longs (d’une livre), des pains de ménage (gros et ronds) ou des grosses couronnes. Les baguettes et les flûtes étaient plus rares. La clientèle était essentiellement écochoise mais parfois venait de plus loin car le pain était bon, cuit au bois. Louis Sarnin faisait aussi des brioches en forme de couronnes, sur commande ou pour la fête patronale (dimanche suivant la St Barthélemy).

 

Le bois pour le four ? Des fagots qui s’entassaient de l’autre côté de la route et qui étaient fournis par des paysans assez régulièrement, s’assurant ainsi un tout petit complément de revenus. Le boulanger devait donc traverser la route alors pas trop fréquentée ; heureusement car sur la fin (années 1960) Louis Sarnin était sourd et n’entendait guère le bruit des voitures (lui-même possédant une 4L fourgonnette après avoir eu une 4 CV).

 

La farine ? Livrée dans une petite maison sise juste à côté du préau de l’école d’en bas par des meuniers des environs : Sabatin de Mars, Fourcaud de Tancon principalement. Mais avec un marché particulier : beaucoup de paysans avaient des récoltes de froment qu’ils faisaient moudre chez ces meuniers et ainsi fournissaient de la farine au boulanger ; en échange le boulanger ne faisait payer que la « façon », d’où l’existence des carnets : quand on prenait son pain, la boulangère inscrivait sur le carnet (nominal) le poids puis régulièrement tous les mois environ, on comptait la quantité de pain emportée, la quantité de farine livrée et il arrivait que l’on payait avec le surplus de farine ; d’autre part quand une ménagère avait besoin de farine elle n’avait qu’à apporter un sac. Enfin pour les brioches, certains apportaient au boulanger les œufs et le beurre.

 

A la fin des années 1960, Louis Sarnin, né en 1905, prit sa retraite. Il n’y eut plus alors de boulanger sur la commune. Pour se ravitailler il y eut pendant un certain temps les tournées d’un boulanger de Maizilly, la tournée de Chassignolle de Cadolon et le dépôt au bourg de Bergiron boulanger de Coublanc. Puis, la seule boulangerie de Cadolon, qui ferma à son tour dans la première décennie du XXIème siècle. Depuis le pain est acheté à Belmont ou Chauffailles principalement.

 

 Mais Louis Sarnin ne se contentait pas de faire (bien) du pain ; il cultivait un jardin, un petit lopin de terre et avait une vache – la dernière : une hollandaise noire et blanche -

 

Enfin il était chantre à l’église. Et certains se souviennent de sa voix de stentor. Tous les ans, du moins jusqu’en 1960, la nuit de Noël, il chantait en solo « Minuit Chrétien ». Sa prestation était réputée à tel point que quelques habitants des paroisses voisines venaient à la messe de minuit d’Écoche dans le seul but d’écouter chanter Minuit Chrétien par « le » Louis Sarnin.

* La boulangerie était ouverte tous les jours ; si la boulangère devait s'absenter, elle se faisait remplacer par sa fille par exemple ; le boulanger par son fils qui avait appris à faire le pain - comme ses aïeux- La grosse affluence de clientèle se faisait vers les 11 heures ; l'après-midi pour les beaux-jours la boulangère pouvait s'asseoir sur un banc devant la maison, toujours prête à rendre service, à vendre un dernier pain ou à bavarder avec les passants : cette convivialité chaleureuse se retrouve encore aujourd'hui en Italie du Sud, mais guère en France en raison de la course aux chiffres d'affaires!

 ** Dans les dix dernières années de l"existence de la boulangerie un petit changement imposé par le syndicat professionnel avait déplacé légèrement la banque afin de permettre à la boulangère d'empêcher les clients de prendre eux-mêmes leur pain, après parfois en avoir tâté plusieurs!


Cafés Maurice : avec une demi-livre on avait un écusson en plastique

Les sachets de flan Ancel étaient dans une grosse boîte en fer, vendue in fine (comme celle-ci -image trouvée sur internet)

La boulangerie était aussi dépositaire de farine pour veau de lait

On y trouvait aussi le chocolat Poulain et ses petites images



Ci-dessous, sur une ancienne carte postale des années 1950, l'environnement de la boulangerie et l'église où Louis Sarnin était chantre


Minuit, chrétiens ! c’est l’heure solennelle,
Où l’homme Dieu descendit jusqu’à nous
Pour effacer la tache originelle,
Et de son Père arrêter le courroux.
Le monde entier tressaille d’espérance,
À cette nuit qui lui donne un Sauveur.
Peuple à genoux, attends ta délivrance,
Noël, Noël, voici le Rédempteur,
Noël, Noël, voici le Rédempteur.

De notre foi que la lumière ardente
Nous guide tous au berceau de l’enfant,
Comme autrefois une étoile brillante
Y conduisit les chefs de l’Orient.
Le Roi des rois naît dans une humble crèche ;
Puissants du jour, fiers de votre grandeur,
À votre orgueil c’est de là qu’un Dieu prêche :
Courbez, courbez vos fronts devant le Rédempteur,
Courbez vos fronts devant le Rédempteur.

Le Rédempteur a brisé toute entrave
La terre est libre et le ciel est ouvert.
Il voit un frère où n’était qu’un esclave :
L’amour unit ceux qu’enchaînait le fer !
Qui lui dira notre reconnaissance ?
C’est pour nous tous qu’il naît, qu’il souffre et meurt :
Peuple, debout ! Chante ta délivrance,
Noël, Noël, chantons le Rédempteur,
Noël, Noël, chantons le Rédempteur.



Précisions :

Un visiteur attentif de ce site apporte quelques précisions :

- Louis Sarnin notre boulanger avait un oncle appelé aussi Louis (Louis-Joseph) sans doute son parrain, qui fut prêtre -décédé curé de l'Arbresle en 1928 ; peut-être est ce cet oncle qui l'avait amené à penser dans sa jeunesse à la prêtrise. Il est vrai que le pain est très présent dans les évangiles..

- Il y eut autour de l'an 2000 à Écoche le retour d'un boulanger au nom prédestiné : M. Farine. Cet homme avait construit de ses propres mains vers 1990 un petit fournil à la Baize et vendait son pain - à l'ancienne- dans la boutique située en haut de la place dans  l'ancien café Duperron, ainsi que sur quelques marchés. Pour diverses raisons il mit fin à cette production vers 2010.

- A propos de l'échange pain/farine, l'expression consacrée était "boulangers échangistes", sans mauvaises pensées à l'époque.