Dans des archives privées familiales, nous avons trouvé cette copie d'un acte de vente (d'un bois taillis) passé en 1797 ; soit sous le Directoire ; il est intéressant en ce qu'il suggère un passage progressif d'une société d'Ancien Régime à un monde nouveau. Voici le texte avec le respect de l'orthographe du greffier  - sauf un ajout de notre part : les majuscules aux noms de famille.

Par devant le notaire publique soussigné et présent les témoins cy après nommés furent présent Laurent Glatard, Étienne Auclerc, Benoît Poizat tous citoyens propriétaires demeurants en la commune d’Écoche, lesquels de grés ont vendus comme par ces présentes ils vendent ceddent quittent remettent et abandonnent purement et simplement avec promesses de maintenir garantir et faire valoir envers et contre tous à Claude Poizat, à Antoine Debiesse et Joseph Brossette tous propriétaires demeurants audit Ecoche cys présent et acceptant ascavoir  audit Brossette une portion de tailly situé audit Ecoche apellé du Châtelet qui joute le tailly cy dessus confiné et vendu audit Poizat de soir, le bois de Joseph Auvolat de bize, et la portion de tailly réservés aux dits vendeurs de matin et midy, saufs autres  plus vrays et meilheurs confins auxdits portions de tailly cy dessus vendües aux francs frais drois entrées issues aisances propriéttés apartenances et dépendances, franche quitte et exempte de tailles, dettes, charges, réelles, foncières assignaux de dotte, pensions hipotèques généralement quelconques si ce n’est des impositions foncières attribués à la ditte portion .... vendüe : qui demeurent à la charge des acquéreurs accomptes de la présente année attendu que entrées en possession dudit tailly de aujourduy et sans que lesdits vendeurs ne si rien réserver si ce n’est leur droit de passage, pour la desserte de leur portion de tailly à eux réservés par une charrière qui sera pratiqué dans la portion de tailly vendü audit Debiesse du cotté de midy pour aboutir au chemin tendant du village Forest à Bariquand et une autre charrière qui sera pratiqué dans la portion sus vendüe audit Poizat du cotté de matin et à la cime, le tout à perpetuitté, la présente vente ainsi faicte et convenüe entre les parties, moyennant le prix et somme en ce qui concerne ledit Joseph Brossette la somme de trois cents livres acompte de laquelle somme ledit Brossette en a payé tous  présentement auxdits vendeurs la somme de soixante et douze livres en bonne monnaye d’argent sonnant ayant cours de ce jour dont quittance et quant aux deux cents vingt huit livres restantes ledit Brossette promet et s’engage les payer sçavoir à la septembre prochain soixante livres, à la Toussaint suivante semblable somme de soixante livres, aux festes de Noël aussi suivante pareille somme de soixante livres et les quarante huits livres restantes aux festes de  Pacque prochaine et sans interest jusqu’à l’échéance de chaque terme suitement, d’accords entre lesdites parties que lesdits vendeurs ne seront garents des objets vendüs qu’avec la même garantie qu’ils ont acquis du citoyen  de vicy suivant l’acte reçu Berland notaire à St Christophe le 13 juillet 1795 en feront comm’aussi que ledit Brossette de sadite portion de tailly aura drois et à perpetuitté de passer et repasser dans la portion de tailly réservés par les vendeurs pour aboutir  a la charrière du milieu et de la à la charrière qui sera pratiquée dans le bois dudit Poizat, même dans celle dudit Debiesse.

 

Le tout ainsi convenûs et acceptés par les parties chacunes en ce qui les concernent sous les promesses  obligations renonciations devestures investures translaction de tous drois en noms de proprietté et autres clauses requises dont acte fait lû et passé à Ecoche maison dudit Glatard après midy le  vingt neuf messidor an cinq de la république française, en présence de Jean Louis Destre huissier de la justice de paix du canton de Belmont demeurant à Arcinges et de Claude Chavanon propriétaire demeurant audit Ecoche témoins requis desquels le dit Destre a signé avec lesdit Poizat, Glatard et Auclerc et non ledit Chavanon n’y lesdit  Debiesse et Brossette, qui ont déclarés ne le scavoir faire tous de ce sommés suivant la loy . signés à la minutte présente Auclerc Glatard Poizat Poizat Destre. Et Destre le jeune  notaire

 

Il s'agit d'un double transfert : 1-trois propriétaires achètent en 1795 un bois au fils du marquis de Vichy (le marquis, dernier seigneur d'Arcinges vient d'être fusillé en 1793 à Lyon) 2- Ces propriétaires en 1797 partagent ce bois entre eux et d'autres propriétaires. Donc le bois de l'ex marquis est désormais divisé en au moins six parcelles, sans doute d'inégales superficies mais dans cet extrait (concernant l'acheteur joseph Brossette) rien n'est précisé des superficies.

L'ancien bois étant d'un seul tenant il a donc fallu créer des accès aux différentes portions : les charrières, les droits de passages...

Le notaire désormais public et non plus royal est malgré tout celui d'Arcinges, Destre comme avant 1789 ; un autre Destre occupe une nouvelle fonction créée alors : huissier du juge de paix. On date l'acte de vente à l'aide du calendrier républicain alors en vigueur, le 29 messidor an V correspond au 17 juillet 1797. Mais on voit bien que ce calendrier a du mal à s'imposer puisque pour les choses sérieuses, les échéances de paiement, on utilise le calendrier julien : septembre ; et même les fêtes religieuses : Toussaint, Noël et Pâques qui pourtant est une fête mobile donc lié au vieux comput. Cette année là, Pâques tombait le 4 avril 1798 (ou 15 germinal an VI).

La monnaie est toujours la livre (tournois) mais on prend soin de préciser selon le cours actuel -fluctuant alors.

Laurent Glatard est le principal propriétaire ; c'est dans sa maison de la Quichère que se déroule la transaction.

Les témoins sont Jean-Louis Destre, âgé d'environ trente ans, ancien clerc chez le notaire d'Arcinges et qui passe auprès du juge de paix du canton de Belmont, paroisse qui supplante ainsi Arcinges à la faveur de la réorganisation territoriale engagée dès 1790. Le notaire doit être Nicolas Destre dit le jeune car son père était avant lui notaire royal également à Arcinges. Nicolas Destre descendait par sa mère des Boisseaud de Saint Maurice et il avait épousé Anne Benoîte Debiesse ; il fit édifier la chapelle du Bois du Calvaire à Arcinges pour avoir eu la vie sauve sous la Révolution alors qu'il était prisonnier à Lyon en 1793.

L'autre témoin est Claude Chavanon, de la Quichère, un des fils de l'ancien fermier du marquis de vichy ; il est étonnant que lui, ne sache pas signer.

Les divers propriétaires paraissent proches les uns des autres : Claude Poizat, la trentaine est sans doute le neveu de Benoît Poizat ; une Françoise Poizat ayant épousé Claude Chavanon. Habitant à Écoche, cette famille était apparentée avec les Poizat d'Arcinges. Il y a plusieurs Etienne Auclerc à Écoche à cette date, dont un qui ensuite ira à Coublanc où il sera maire.

Antoine Debiesse pourrait être le beau-fils de Laurent Glatard né en 1771 et qui se marie en 1803 en premières noces avec Claudine Chavanon mais il ne signe pas, alors que ce Debiesse  sera fabricant de toiles ?(*)

Et enfin notre Joseph Brossette âgé de 36 ans est le frère de Benoît-Marie qui fut maire d'Écoche.

Bref, ne peut-on pas dire que le passage de l'ancien au nouveau "régime" se fait en douceur? Pour quelques-uns tout au moins, car même dans un village comme Écoche, il y eut bien des troubles....A ce sujet, on peut noter que le terme citoyen qui faisait fureur à Paris au plus fort de la révolution n'apparaît ici que deux fois : pour désigner les propriétaires vendeurs et pour le fils du ci-devant marquis de  Vichy devenu le citoyen Devici !

Ci-dessous un extrait du plan cadastral de 1833 où l'on voit le morcellement des anciens bois du seigneur d'Arcinges ; en rouge nous avons repassé ce qui doit être le chemin tendant de Chi-forest à Bariquand (hameau de Belmont). La grande parcelle indivis, elle, correspond à des  communaux de la Quichère intégrés depuis à la section Juin/Forest.

Joseph Brossette ne devait pas garder très longtemps cette parcelle ; dans un autre acte passé devant le notaire "impérial" de Belmont, Maitre Billard, il revend le 16 décembre 1806 son taillis à Etienne Berthier pour un prix de 150 francs ; les propriétaires voisins sont les mêmes à une exception : Claude Desverchère à la place peut-être  d'Antoine Debiesse.

En 1857, devant Me Pomey notaire à Belmont, la parcelle est revendue par l'héritière Berthier qui a épousé Jean Chavanon et vit à Jarnosse. Cette fois on précise sa superficie : 40 ares environ. Petite parcelle qui vaut alors 100 francs seulement. Les confins montrent à cette date de nouveaux propriétaires à l'exception des héritiers Auclerc.

(*) En fait, sous l'Ancien Régime, si on lit avec attention les registres paroissiaux on s'aperçoit parfois du caractère aléatoire du "savoir signer" : il arrive qu'une personne ayant signé à un moment donné déclare quelque temps plus tard ne pas savoir le faire. Oubli, négligence, refus, les raisons sont sans doute diverses. Dans le cas ici d'Antoine Debiesse, il est fort possible qu'il ne fût pas présent car le vendeur principal est sans conteste Laurent Glatard comme l'indique la marge de la copie remise à Joseph Brossette. Destre le jeune, bien au fait des "ruses" des notaires seigneuriaux, afin de valider l'acte, indique qu'il a été sommé de signer mais qu'il ne savait pas - à ce moment-là.


Et en traversant aujourd'hui ces anciens bois du ci-devant Marquis, on se rend compte de la mauvaise qualité du sol : pente et rochers. On y retrouve les "charrières", le bois taillis, quelques pins et un gros rocher entre autres. Ici ou là quelques jeunes sapins...