Deux morts violentes en 1875.

 

Le dimanche 29 août 1875, c’était à Écoche jour de fête patronale. Celle-ci était en effet fixée au dimanche suivant la Saint Barthélemy (24 août). Organisée traditionnellement par les commerçants, elle devait leur permettre d’augmenter leurs ventes principalement dans les cafés et les boulangeries. Surtout si la fête pouvait se prolonger tard le soir. Or cette année-là le maire, François Glatard, n’autorise pas les cabarets à ouvrir le soir. Les tenanciers sont mécontents et protestent. Le garde-champêtre et la gendarmerie, qui, depuis la fin du Second Empire, a déménagé au chef-lieu de canton, sont chargés de faire respecter l’arrêté municipal. Sont donc sur place le brigadier Lainé et le gendarme Borrossi.

 

Il semblerait qu’au moment de la fermeture, un cabaretier, peut-être un peu pris de boisson, ait violemment agressé le garde-champêtre. La foule encore nombreuse et sans doute passablement avinée, prend fait et cause contre la maréchaussée. La bagarre générale s’envenime, des coups de feu sont tirés Et au final deux gendarmes sont blessés, six Écochois sont blessés également mais surtout deux d’entre eux décèdent dans les jours qui suivent.

 

Le fait divers est rapporté par le Figaro et par le magasine de la gendarmerie. Voir gendarmes et faits divers.

 

Quels sont les protagonistes de cette tragique fête patronale ?

 

-le garde champêtre : Etienne Duranton est garde depuis longtemps, au moins depuis 1844. Originaire de Saint-Bonnet-des Bruyères, il a épousé une Écochoise et habite à Vatron. Il est, on ne peut plus, expérimenté mais il a déjà 74 ans. On comprend que, pour que force reste à la loi, l’intervention des gendarmes ait été nécessaire.

 

-le « déclencheur » de l’émeute serait un certain Danière, présenté comme cabaretier et misérable selon le Figaro). Ni dans le recensement de 1872, ni dans celui de 1876, il n’est question d’un Danière cabaretier. Il pourrait s’agir d’un emploi temporaire lié à la fête : la tenue d’une buvette par exemple. Or, au bourg un seul Danière en aurait l’âge : François, âgé de 21 ans. A moins qu’il s’agisse d’un Danière du Crot des bois ou du Cret-Loup? En tout cas il paraît ce soir-là bien excité au point de devoir être emmené « au violon ». C’est cela qui fait monter la tension et pousse ses camarades à séquestrer les forces de l’ordre.

 

D’après les souvenirs transmis par son aïeul, le petit-fils de Claude-Marie Guyot, racontait que le lieu de la séquestration aurait été l’actuelle maison « Gutton » qui, communicant par les cours avec l’actuel restaurant puis de là avec l’ancienne poste (à l’époque café), aurait permis à la maréchaussée de s’échapper.

 

-les « cabaretiers » Dans les recensements de 1872, ils sont quatre au bourg d’Écoche à être qualifiés d’aubergistes ; mais il existe aussi trois boulangers qui à l’occasion de la fête pouvaient fort bien tenir une buvette pour déguster la brioche. Il s’agit de Benoît Aubonnet (66 ans), Félix Chetail (53 ans), Jean-Marie Déchavanne (40 ans) et Claude-Marie Vermorel(47 ans). En 1876 on a aussi Jean Dufour et Benoite Troncy veuve Lafond (lequel Lafond était justement boulanger en 72).

 

- le médiateur : Claude-Marie Guyot, ancien adjoint au maire, rentier  cultivateur vivant avec son père et ses filles, âgé de 41 ans, demeurant à Juin (ancienne maison "Planchet"). Tout le monde loue son sang-froid.

 

 

-les victimes. On ne sait rien des quatre blessés écochois qui ne décèdent pas. Les deux qui sont touchés mortellement ont tous deux 17 ans et quelques mois : l’un, Chetail, meurt dès le lendemain lundi 30 août ; l’autre, Tachet, décède le 2 septembre. On imagine la douleur des familles et sans doute leur colère ; mais il ne semble pas qu’il y ait eu d’émeute généralisée par la suite comme cela se serait passé au début du XXIème siècle. Les parents de Louis-Joseph Tachet habitaient à la Forest, étaient tisseurs et avaient d’autres enfants. Les parents de François Chérubin Chetail habitaient à Fonterest ; un peu plus âgés ils avaient eu ce dernier fils sur le tard et sans doute est-ce la raison de son deuxième prénom. Un autre frère meurt au cours de l’année 1880. Voir mortalité, laissant un enfant prénommé Damas ; leur maison est longtemps restée connue comme la maison de Damas (juste en-dessous de la route du Cergne).

 

Même si ces deux décès sont probablement dus indirectement à l’alcool et témoignent de la violence fréquente en milieu rural, les deux familles étaient considérées comme « honorables » pour les Écochois : ancienneté des familles, la mère de Chetail : famille Debiesse (laboureurs…marchands) ; la mère de Tachet : famille Lebretton (on remonterait à l’apothicaire Lebretton de l’Ancien Régime. Voir Claudine Déclas dans la rubrique Notables). Mais honorabilité ne signifie pas aisance !

 

-les gendarmes. Le brigadier est sans doute Pierre Lainé âgé de 49 ans. Né à Glénac dans le Morbihan, fils d’un maçon, marié à Dinan (Cotes d’Armor) alors qu’il y était en poste, il n’était pas arrivé à Belmont depuis très longtemps et il y terminait sa carrière. Devant la foule qui le menaçait de lynchage, il est obligé de fuir sans pouvoir emmener le dit Danière.

 

Le gendarme Paul Borrossi sérieusement blessé à l’œil passa à Belmont de 1872 à 1875. Originaire de Corse il a alors 43 ans et une carrière bien remplie : à 22 ans il avait participé à la guerre de Crimée, ce qui lui avait valu une médaille ; ensuite nouvelle médaille en août 1859 pour sa participation à la campagne d’Italie de Napoléon III. Il est ensuite garde à pied, gendarme, tour à tour à Bisinao, Douarnenez, Belmont.

 

La tragédie écochoise (et sa blessure) lui permet d’obtenir la Médaille militaire dès novembre de la même année. Et l’année suivante il repart en Corse où il intègre en novembre 1876 la brigade de Soccia (aujourd’hui dans le parc naturel régional de Corse du Sud). Enfin il prend sa retraite le 16 novembre 1679 à 47 ans. Entre temps, en 1878 il a encore dû faire preuve de sa sagacité pour dénoncer un cas de fraude électorale.

 

A Belmont il vit avec son épouse Marie Annonciade Bonardi, une cousine du même village de Sarrola-Carcopino (au nord d’Ajaccio). Ils ont déjà une fille de 8 ans et c’est à Belmont que naissent leurs deux autres enfants, Catherine Sophie Ernestine en août 1873 mais morte en mai 74 et Louis né seulement 4 mois avant les événements d’Écoche.

 

-un absent : le curé de la paroisse. Déjà âgé, le curé Puillet ne devait guère goûter les excès de la fête patronale, que peut-être à l’instar du curé d’Ars il dénonçait ; ce qui n’empêchait aucunement ses paroissiens de danser et surtout de boire. Pourtant l’aubergiste Vermorel était marié avec la belle- sœur de son frère : Victor Puillet -instituteur décédé- avait épousé une fille de cabaretier dont l’établissement avait été repris par Vermorel. Mathieu Puillet ne survit d’ailleurs que deux ans au drame (le 4 novembre 1877). Pas d'intervention non plus de son jeune vicaire, Claudius Muller, arrivé à la paroisse il y a 4 ans.

 

-le maire : François Glatard. Pour certains, dont Guyot, il serait à l’origine du drame par son arrêté et son manque de souplesse. Mais un fait est sûr : il n’est pas là ce soir du 29 août. Filateur, conseiller général, marié à 33 ans, veuf à 56 ans, âgé alors de 59 ans, il doit peut-être déjà songer à se retirer de la vie politique, ce qu’il fait en 1877. Cette tragédie est-elle une des causes de son retrait ? Avait-il perdu l’estime des habitants ? Nommé sous le Second Empire, il n’était plus en phase avec l’époque où le bonapartisme avait sombré, où les royalistes s’étaient divisés et où les républicains commençaient leur implantation. Même à Écoche ! Est-ce un hasard si son successeur -élu- fut justement un aubergiste, Félix Chetail (non apparenté à la jeune victime) et qu’un des futurs maires, Jules Aubonnet, aubergiste lui aussi, était le petit-neveu de celui qui tenait le cabaret -noté Aubanet dans le rapport- par où s’étaient enfuis les gendarmes.

 

-i"arbitre"  qui aura le dernier mot : le juge de paix du canton de Belmont, dont la conciliation est le coeur de fonction. Il réside à Belmont (ce qui n'est pas obligatoire) ; il s'agit d'Antoine Seguin, 55 ans né à Briennon.

 

Triste journée que ce 29 août 1875 mais aussi un tournant pour plusieurs personnes et pour la commune d’Écoche.

ci-dessous, le village de Soccia, où Borrossi eut le malheur de perdre sa femme morte dans la quarantaine. Remarié dans son village natal il eut un nouveau fils auquel il donna le prénom de sa première femme : Nonce (équivalent corse d'annonciade). Puis un dernier en 1890 baptisé Paul Baptiste ; militaire comme son père, il se maria dans le finistère où il eut trois enfants. L'un d'eux (donc le petit-fils du gendarme qui fut blessé à Écoche) né en 1921 , Paul comme son grand père s'engagea dans les forces Françaises du général De Gaulle à Londres où il fut un as de l'aviation. Il mourut en mission. Une rue de Quimper est dénommée rue Paul Borrossi

Ci-dessous le petit-fils, héros de la France Libre : 

Paul Marie Nonce Borrossi

et ci-contre le départ de la rue qui porte son nom à Quimper



Condamnations

Après ces événements, la justice a été prompte à se saisir de l'affaire, d'ailleurs appelée dans le journaux roannais "l'affaire d'Écoche". dès le mois de décembre de la même année 1975, sont condamnés :

- à 4 mois de prison  le cabaretier âgé de 45 ans

- à 1 mois de prison 4 jeunes hommes d'Écoche et de Mars de 19 ans, 27ans, 30 ans et 33 ans

 -à 48 heures de prison, un jeune de Mardore de 28 ans

- à 25 francs d'amende seulement un jeune de 19 ans