Les puissants Charreton et Écoche.

 

La famille Charreton est une véritable dynastie de gens de robes, bourgeois anoblis à une date indéterminée. Ils furent au service des plus grands principalement pour les affaires financières et plusieurs d’entre eux gravitent dans le Beaujolais et les terres alentour comme la Dombes. Certains d’entre eux avaient été au service du duc de Bourgogne, plus tard au service du roi de France et notamment de la fille de Louis XI Anne de Beaujeu, et même pour une branche possessionnée en Franche Comté au service du roi d’Espagne.

 

On trouve quelques-uns de ces puissants personnages liés à Écoche à propos de la levée de la Grande Dîme au moins pour la partie qui, à la fin du 18e, relevait du seigneur de Verpré.

 

En 1566, deux cousins de cette maison, Hugues sieur de la Terrière et trésorier du Beaujolais et son cousin Antoine sieur de la Salle font un rappel à l’ordre aux habitants d’Écoche à propos de ces dîmes

 

« Les habitants d’Écoche ne peuvent enlever les grains de leurs terres sans avoir averti, ni les enlever de nuit ou à heure suspecte » Cela laisse supposer que l’année précédente certains l’avaient fait, peut-être sans volonté de frauder mais simplement à cause du retard des fermiers collecteurs, ce qui aurait pu avoir des inconvénients par exemple liés à la météo : si le temps est trop chaud, il y a risque d’ « égrenage » précoce ; si le temps est à l’orage ou à la grêle, il y a risque de destruction des gerbes sur le champ ; si le temps est trop humide il y a risque de germination (par exemple du seigle) ou de pourriture.

 

On apprend aussi que les moissonneurs (sans doute des terres seigneuriales) sont rémunérés « de dix gerbes la onzième, avant et sans égard au dixme »

 

Le texte rappelle le poids du prélèvement : « ils payent la dixme de douze gerbes de seigle la treizième, de treize gerbes froment orge, avoine chanvre et autres choses décimables la quatorzième, et de treize le quatorzième cuchon, et cela sur les terres où les denrées auront cru. De treize coupes de légumes ou tramoys ( ?) la quatorzième payable dans leur main dans le sac »

 

Le texte s’adresse aux manants et habitants de la paroisse d’Escoches cités tant en leur nom propre qu’au nom de tous. En 1566 donc, les laboureurs de la paroisse sont : Jehan Butty, Guillaume Bosland, Claude Fonteret, Jehan Forest dit Vacheron, François Desclas dit Ardillaz, Jehan Plassard dit Forest, Jehan Bertillot, Claude Fillon le jeune, Jehan de Fontaimpes dit Laval, Claude des Brosses dit Laval, Jehan de Lespinasses dit Bruyères, Claude Ardillaz, Claude Girolet, Anthoine Guiot dit Chavallard, Claude Fleury dit Chavallard, Jehan Jonard dit Bruyères, Hugues fils dudit Bertillot, Hugonin de Laval, Claude Ronchevol dit Plassard, Jehan Puibert dit Cuchère, « laboureurs de ladite paroisse faisant ou représentant la grande ou plus saine partie des habitants ».

 

Au XVIIIème siècle les seigneurs de Verpré bénéficient de presque la moitié des dîmes d’Écoche, à charge pour eux de reverser la part de portion congrue correspondante au curé (le reste de la grande dîme appartient pour l’essentiel au seigneur d’Arcinges qui l’a repris au seigneur du But, lequel en avait hérité du fief de Montruchet ; enfin un petit territoire vers Vatron appartient pour les dîmes au curé d’Arcinges). Les seigneurs de Verpré avaient sans doute acheté ces droits de lever les dîmes aux héritiers de la famille Charreton par des transactions diverses mais peu claires. Dans leurs archives numérisées par Claude Franckart (côte B117, page 244 et sq.), on trouve un ertain nombre de notes qui sur deux siècles renseignent sur les fermiers devant collecter ces dîmes :

 

Ainsi en août 1543 des dîmes avaient été « vendues » (en fait le droit de les lever pour trois ans seulement) à  Pierre Coillard et Jean Destrambles, de Ranchal, par Me Hugues Charreton. En 1546 elles furent acquises à Hugues et Antoine Charreton par François de Ronchivolle seigneur du But- pour six ans seulement. En 1564 les cousins Charreton (qualifiés désormais de nobles, ce qu'ils étaient peut-être depuis plusieurs générations) redonnent le droit de lever des dîmes à François de Ronchivolle pour 3 ans. En fait il s’agit de baux. Ce serait donc ce Ronchivolle le coupable de lever trop tardivement les dîmes ? En fait il est probable qu’il sous-loue lesdites dîmes. Mais on peut se demander qui est dans les habitants de 1566 le Claude Ronchivolle. Peut-être un fils cadet qui exploiterait le domaine Plassard, domaine qui, on le sait, a pu inclure l’étang (voir Amanzé et Ronchivol) dit Plassard !

 

Les cousins Charreton en 1584 les donnent à ferme à deux Écochois, Claude Delafond dit Defons et Jacques Versnolet. En 1591 deux notables d’Écoche deviennent à leur tour fermiers des dîmes : Hugues Pezeaud, notaire royal qui possède sa maison à Fonteret et qui rédigea les terriers du seigneur Claude d’Amanzé, et Hugues Bosland laboureur du village Bosland (Fillon aujourd’hui). Dans un bail de deux ans. En 1593, nouveau fermier : Pierre de Sirvinges, bourgeois de Villers puis devenu en 1597 notaire à Villefranche. A noter que le dit Pierre de Sirvinges semble avoir profité de cette ferme pour acheter des terres et des bois à Écoche. En 1602 les Charreton les afferment à un notaire de Belmont Théode de la Forest et à un laboureur d’Écoche Benoît Auvolat dit Delaval.

 

 Dans la première moitié du XVIIème, ça se complique : les dîmes (toujours la presque-moitié, l’autre presque-moitié étant celle du seigneur d’Arcinges) appartiennent désormais à un seul Charreton et à un certain Hugues Thibaut* prévôt et juge de Beaujeu. Ils les afferment en 1607 à Jean Favre ; en 1613 à Pierre Thévenard juge des terres de Cours.

 

En 1628 les fermiers seraient le sieur de Thulon* et Pierre de la Rivoire (bourgeois de Charlieu), le sous-fermier - si l'on peut dire - un certain Claude Fonsard ou Fousard, le propriétaire Berthet de la Salle, héritier des Charreton (petit-fils d'Hugues). En 1631 les dîmes en question sont affermées à Benoit Bosland et à Antoine Desportes d'Écoche. En 1660 le même sieur Berthet afferme les dîmes via un fondé de pouvoir, praticien à Coublanc, à Jean Le Breton qualifié de bourgeois d’Écoche.

 

En 1680 enfin les deux grands propriétaires des dîmes d’Écoche sont désormais Verpré et le But ; on ignore quand les seigneurs de Verpré ont acheté aux Charreton leur droit de lever les dîmes. Mais à cette date (février 1680) on trouve une transaction dans laquelle Blaise Mathieu le curé d’Écoche « se départ et désiste au profit d’Anne Gambin dame de Verpré et du seigneur du But de toutes les prétentions généralement quelconques qu’il pouvait avoir et prétendre dans la dîmerie desdits seigneurs de Verpré et du But ».

 

A partir de là, les fermiers pour Verpré sont connus : demoiselle Louise Buchet** de 1680 à 1691 ; sieur Louis Mathoud bourgeois d’Écoche en 1691 ; en 1710, Philibert Morel ; en 1716 Claude Morel marchand d’Écoche ; en 1727, Jean Pérricat  (ou Perricaud) et Pierre Dinet, laboureurs d’Écoche (bail renouvelé en 1733 quand Verpré est passé à Gilbert de Drée puis encore en 1742) ; en 1763, Antoine Brossette d’Écoche, seul puis avec son frère Philibert ; en 1772 Jean Buchet marchand d’Écoche, bail renouvelé en 1777 puis 1783.

 

 On n’a en revanche que des sources lacunaires pour les fermiers décimateurs du But puis d’Arcinges ; la famille Vaginay collecte les dîmes du But au 17e ; lorsqu’Anne-marie Rolin a tout racheté, son fermier est Marchand de la Quichère ; à la fin du 18e pour Vichy, on trouve Claude Sarnin de la Quichère . Il est possible qu’à certaines périodes les fermiers des Charreton puis des Verpré aient été aussi ceux du But ; par exemple on voit qu’Anne Gambin la dame de Verpré semble s’occuper de tout au tournant des siècles, lorsqu’il est vrai le sieur du But est alors Vaginay, lui-même ancien fermier décimateur pour ...le But. Ou inversement, le fermier de la comtesse de Chauffailles, Claude Marchand, a pu lever pour Verpré aussi.

 

De ces connaissances partielles, il ressort que la levée des dîmes, pour complexe qu’elle soit, doit présenter un intérêt certain, ce qui par déduction indique des ressources non négligeables tirées de la terre à Écoche puisque la dîme étant de douze la treizième pour le seigle elle représente un « impôt » sur les paysans de 7.7% environ et de 7.1% pour le froment ou l’avoine.

 

On note qu’à partir du moment où c’est Verpré qui passe les baux, ceux-ci vont exclusivement à des gens d’Écoche, alors que du temps des Charreton ce n’était pas souvent le cas. Et ces "notables" d'Écoche sont parfois les ancêtres des familles aisées d'après la Révolution, le fermier collecteur s’enrichissant au passage.

 

 

 

* Hugues Thibault est le gendre d'Hugues Charreton ; il est seigneur de Thulon.

 

** Louise Buchet, fille d'un notaire de Coublanc est la veuve de Jean Le Breton ; elle se remarie avec Louis Mathoud bourgeois de Bois Ste Marie puis d'Écoche

 

Source : les archives de Drée, côte B117, page 244 et sq. et Fonds vichy de la bibliothèque de Roanne (F20.3.5).

 

 

 

Note complémentaire sur les Charreton et quelques coïncidences :

 

Hugues était le fils d’un chancelier d’Anne de France connue sous le nom d’Anne de Beaujeu. Dans un livre de Vachez sur les familles du Beaujolais on trouve ceci : « Enfin terminons ici cette nomenclature de terres nobles acquises par des familles bourgeoises, en rappelant la vente du château et seigneurie de la Douze en Beaujolais (Odenas) consentie le 26 septembre 1574 à Hugues Charreton seigneur de la Terrière trésorier et élu du pays de Beaujolais, par dame Guillemette de Thil veuve Gilbert de Mars au prix de 10 000 livres » Ce qui signifie que pour l’auteur, Hugues de Charreton n’aurait pas encore été anobli ?

 

Ce château d’Odenas par la suite appartint à des De la Ronzière, peut-être les bourgeois de Charlieu qui portaient le titre de seigneurs de la Douze ; par la suite encore il fut acheté par un fils ou petit-fils de Renée de Rochefort qui lui donna le nom de château de la Chaize, aujourd’hui bon domaine viticole.

 

Une petite fille d’Hugues Charreton, Anne fut la mère de Marianne Rolin comtesse de Chauffailles. Sans doute pas par hasard puisqu’un document montre une transaction menée par Anne Charreton en faveur des d’Amanzé, transaction qui aurait amené le remariage de Jacques d’Amanzé avec sa fille. On comprend mieux la haine de Jean d’Amanzé à l’égard de sa belle sœur qu’il accuse de ne pas être de haute noblesse mais simplement fille d’un élu du Beaujolais. Pour puissants qu’ils furent, les Charreton n’en restaient pas moins aux yeux de la vieille noblesse des parvenus. Ce mariage d’Amanzé-Rolin est donc bien typique de ces « savonnettes à vilains » pour « redorer le blason ».

 

Mais pour les Écochois, il fallait toujours payer la dîme.

 

Reste une question : comment et à quel moment les Charreton avaient-ils obtenu ce privilège de lever la grande Dixme d’Écoche ?