Marchands


Dès le début du 18ème siècle, les registres paroissiaux donnent à certains Écochois le "statut" de marchands. Qui sont-ils? Que signifie être marchand en Haut-Beaujolais dans l'ancien Régime?

Un élément de réponse se trouve dans : Cholley André. Notes de géographie Beaujolaise. In: Annales de Géographie, t. 38, n°211, 1929. pp. 26-46;

Extrait : La position géographique du pays entre le sillon rhodanien et la vallée de la Loire, le voisinage de Lyon ont développé une activité du trafic. Les muletiers du Beaujolais septentrional s'employaient àtransporter les vins de la Côte au port de Pouilly-sous-Charlieu sur la Loire. Les vins du Bas-Beaujolais prenaient de préférence la route méridionale de Tarare-en-Lyonnais. Celle-ci du reste n'était pas comme celle de Beaujeu uniquement une route du vin, elle servait aussi aux voyageurs et aux marchandises en provenance de Lyon et de la vallée du Rhône pour Roanne, les pays de l'Ouest et Paris. "On voit, dit Brisson vers 1770, la plupart des grangers et des laboureurs de la montagne employer leurs journées à faire des charrois. Ils vont chercher les marchandises à Pierre-Bénite en aval de Lyon et les voiturent ou les transportent à dos de mulet jusqu'à Roanne". Le profit devait être assez grand car notre auteur se plaint vivement de abandon où ces sortes occupations laissent la culture.

 

Puis ces premiers marchands vont très vite transporter des toiles fabriquées dans la montagne beaujolaise, d'abord pour Lyon ; puis pour les villes de cette montagne comme Thizy....

 

Extrait :

A ramasser les toiles pour les marchands de Lyon les commissionnaires se sont enrichis Dans chaque marché important il s’est constitué une bourgeoisie trafiquante. Louvet cite déjà à la fin du XVIIe siècle un marchand de Villefranche qui tous les ans était capable d’acheter plus de 4000 pièces de toile et un habitant du village de Saint-Bonnet-le-Troncy qui à lui seul faisait travailler 80 métiers de paysans.Au XVIIIe siècle cette bourgeoisie locale s’accroît en nombre, s’enrichit et prend en mains la direction de la fabrication beaujolaise. Un manuscrit de la Bibliothèque de Lyon de la première moitié du XVIIIe siècle relate expressément cette évolution : "tout le commerce des toiles que Lyon faisait vers la Loire jusqu'à l’Océan, dans la Bourgogne, en Lorraine et en Champagne, c’est Villefranche, Lay ou Roanne qui le font et vont même tenir toutes les foires de Bourgogne, Bordeaux, Clermont, Le Puy et Beaucaire". C’est donc autour des bourgs de la montagne que s’organise l’industrie textile. Les marchands de toile deviennent chefs d’industrie afin de mieux diriger la fabrication. Ils possèdent dans chaque hameau dans chaque maison des métiers à bras qui travaillent pour eux à façon.

 

Un autre article sur le rôle de Villefranche évoque clairement les marchands de Thizy.

par Mlle H.Velu in Les Études rhodaniennes, vol. 14, n°1, 1938.

  Extrait :

Ce rôle régional de Villefranche, rôle auquel la destinait sa position au centre de régions très variées, des documents extrêmement nombreux permettent de se rendre compte de son importance. Ils datent, il est vrai, du XVIIIe siècle surtout ; mais les brèves indications que l'on peut recueillir sur la période antérieure permettent d'affirmer que les éléments du trafic sont restés les mêmes.

 

A Villefranche, les paysans de la montagne beaujolaise viennent acheter leur blé et les différents produits qui leur sont nécessaires ; en particulier Thizy et sa région achètent assez volontiers les vins de qualité médiocre que fournissent les environs de Villefranche, et même « cet objet est très considérable ! ». Il est probable qu'au marché de Villefranche les paysans du Haut-Beaujolais achetaient leur bétail.

 

Villefranche, par contre, tirait ses bois de la montagne : « toutes les semaines, dit un document de 1785 il se fait un transport de planches très considérable des montagnes à Villefranche, qui partie descendent à Lyon ou remontent à Mâcon». Les paysans des montagnes voisines apportaient aussi à la ville les toiles qu'ils abriquaient et en retiraient les fils et cotons nécessaires pour leur industrie familiale. Le désir d'activer autant que possible un tel courant d'échanges entre la capitale du Beaujolais et les régions montagneuses est marqué, vers la fin du XVIIIe siècle par une série de mémoires des intendants et des subdélégués qui tous tendent à démontrer l'utilité d'une bonne route qui relierait Villefranche à Thizy et se prolongerait jusqu'à Roanne. Car l'état des chemins est alors très mauvais, le transport des marchandises ne peut se faire qu'à dos de mulets par des sentiers qui sont impraticables en hiver. Brisson cite le cas de négociants de Villefranche qui, s'étant rendus à Thizy pendant l'hiver de 1770, durent revenir chez eux en passant par Lyon, la neige ayant obstrué les sentiers et empêché toute communication directe entre Thizy et Villefranche. Le commerce se trouve de ce fait considérablement ralenti. D'ailleurs ce trafic, que les habitants de Villefranche voudraient voir accru et rendu plus facile par l'établissement de bonnes routes, c'est moins celui des blés, des vins, des bois, que celui des toiles qui, depuis plusieurs siècles fait la fortune des marchands de la ville.

 


Et à Écoche? Précisément on a affaire à des marchands qui ont des liens avec la vallée du Reins.

Ainsi le marchand Jean-Gaspard BATAILLY né à Cublize en 1705 décède à Écoche en 1786. Ses ancêtres sont tous marchands depuis le XVIe siècle. Ses enfants font souche à Écoche ainsi que sa soeur Anne. Cette implantation à Écoche est dûe au mariage du père de Claude avec la fille du notaire d'Écoche Marie Deschezeaux. Par là on voit que le commerce ayant "notabilisé" et sans doute enrichi la famille, on se marie dans  des familles de bourgeoisie de robe mais aussi d'apothicaire comme Anne Batailly qui épouse André Chavoin. On retrouve ces familles dans le premier conseil général de la commune en 1790

On a également le cas Laurent Glatard, ancêtre de la famille des manufacturiers et manufacturier lui-même après avoir été marchand et dont les ascendants sont souvent marchands.


Un Claude Debiesse est marchand d'Arcinges (1701-1773). L'un de ses fils est propriétaire à Écoche (Benoît 1733-1778). Un petit-fils est fabricant de toiles à Écoche (Antoine 1771-1827)... Évolution correspondant assez bien au devenir de certains marchands au 19ème siècle.

Autre marchand d'Écoche mais dès le XVIIe : François Vaginay (vers 1630- vers 1691) Son fils Louis est également marchand (vers 1660 - 1727) toujours à Écoche.

Dans la famille Morel on a également des marchands mais qui peuvent être aussi notés comme laboureurs ; ainsi Claude, marchand d'Écoche (1680-1730) ou Philibert (vers 1652- 1714) voire tixiers.

Benoit Destre descendant de notaires d'Arcinges et Charlieu est qualifié de bourgeois ; il est marchand à Écoche et meurt l'hiver 1709.

Louis Poizat également marchand meurt à Écoche le 28 novembre 1797 à l'âge de 39 ans. Son grand père était aussi marchand comme son beau-père (Carré à Charlieu). Etc..


Cette tradition des marchands -paysans s'est perpétuée assez longtemps à Écoche puisque, par exemple, au début du XXème siècle certains cultivateurs complétaient leur revenus comme marchands de bois : ils transportaient les pins d'Écoche jusqu'aux mines de la Chapelle sous Dun. Mais cette fois sur les routes et avec des boeufs ou des chevaux ; au XVIIIème siècle c'était autre chose : voir la rubrique circulations


 

Mais dans l'Ancien Régime, toutes les personnes dénommées « marchands » dans les actes divers ne sont pas forcément de riches marchands ; ceux qui sont dits ambulants n’étaient peut être que de simples colporteurs. Il est possible qu’il existât des marchands liés à la culture du chanvre. Car rien ne dit que les paysans qui possèdaient des chenevières transformaient eux-mêmes cette matière première. Il est possible qu’existât un système voisin de ce qui se passait dans les campagnes productrices de lin : des marchands auraient pu passer pour acheter le chanvre et l’emmener ailleurs peut-être pour le rouissage, plus sûrement les fibres pour le peignage voire après cette étape, la filasse ; ou alors encore acheter la récolte sur pied. Pour Écoche nous n’avons pas de document précis (mais selon l’adage, « absence de preuve ne signifie pas preuve d’absence ») mais on constate à la fois l’existence de chenevières et celle assez nombreuse de marchands. L’économie du chanvre ayant précédé celle du coton puis de la soie. Voir la rubrique chanvre. Le passage des marchands, pour une raison ou une autre, amène un peu de numéraire, qui manque dans les campagnes du XVIIe et du XVIIIeme    siècles

 


A la veille de la Révolution (archives départementales de la Loire B1230) un marchand d'Écoche, Antoine Chenier doit payer à la veuve d'un marchand de Thizy la somme de 217 livres "pour livraison d'un ballot de coton". D'autres marchands d'Écoche sont également sommés de régler leurs dettes : Étienne Crétin, une somme non précisée à un marchand de Thizy ; Benoît Vermorel la somme de 767 livres à un marchand de Mardore. Particularité, ces sentences sont prononcées par JM Lapalus, non encore devenu le terroriste connu.