Population d’Ancien Régime : de quelques chiffres et analyses.

 

On sait qu’en 1720 les paroisses d’Arcinges et Escoches, ensemble, comptaient 125 feux (fiscaux). Les historiens* estiment que dans chaque feu vivaient entre 4.5 et 5.5 personnes, domestiques compris. Compte tenu de la présence courante dans chaque foyer, même pauvre d’un ou une domestique, souvent de la parenté (neveu qu’on occupait provisoirement le temps de sa jeunesse par exemple) on peut tabler sur le terme haut de la fourchette ; soit 125 x 5.5 = 688 habitants ; mais ces feux fiscaux ne comprennent pas la comtesse de Chauffailles ni sa domesticité du château d’Arcinges, ni les curés et leurs domestiques. On peut donc légitimement estimer la population d’Arcinges et Écoche à 700 habitants, chiffre rond, en 1720 [ à titre de comparaison, 250 ans plus tard, en 1970, sur le même territoire –Écoche+Arcinges+Fontimpe ̶   on trouvait à peu près le même nombre]. Il est donc clair que nos paroisses du Haut Beaujolais étaient au début du XVIIIème siècle assez densément peuplées, ce que confirment les études historiques plus générales. Et tout au long du siècle cette densité va se renforcer.

 

Si l’on examine les registres paroissiaux un constat s’impose : la jeunesse. En effet en cette année 1720 sont inscrits par Ray curé d’Écoche et Degeorge curé d’Arcinges 25 baptèmes (15 à Écoche et 10 à Arcinges). Cela donne un taux de natalité de 35.7 0/00 soit l’équivalent du taux moyen de natalité de l’Afrique en 2016. Les sépultures sont bien moins nombreuses : 3 à Écoche et 2 à Arcinges (dont un homme de 90 ans !). Cela représente un taux de mortalité de 7.1 0/00 . L’accroissement naturel de 25-5 = 20 habitants de plus en une année correspond à un taux de 28.6 0/00 (égal à celui du Congo ou du Niger en 2010). Population dynamique donc, mais peut-être année exceptionnelle ? Onze ans après le terrible hiver de 1709, on peut supposer que les plus fragiles ont disparu alors et que restèrent les plus robustes. Il n’empêche !

 

On doit alors s’interroger sur une telle densité rurale. Souvent l’explication fournie est celle de l’arrivée de la manufacture textile (coton) qui depuis Thizy voire Lyon faisait travailler à façon et en complément de ressources les familles de paysans. Mais en 1720 c’en est encore que le démarrage et à peine. En outre si on fait travailler les paysans, c’est bien qu’ils sont déjà présents sur le territoire.

 

Il est à peu près sûr qu’avant l’arrivée du coton on y travaillait le chanvre car dans les « reconnaissances » féodales de la fin du XVIIème siècle, chaque censitaire ou presque y possède près de la maison un chenevier (ou une chenevière), assurant peut-être une autosuffisance locale pour le vêtement, voire la fourniture à vendre des petits marchands de toile.

 

D’autre part, on évoque souvent la qualité des sols jugée médiocre à la fin du XIXème siècle et même peu favorable à l’agriculture au  XXème vu la faiblesse de la couche pédologique peu propice aux grandes cultures et vu la présence de roches affleurant qui gênent considérablement le labour à la charrue brabant. C’est oublier qu’au XVIIème siècle, l’agriculture est essentiellement un travail à la main, les champs étant cultivés à la pioche et rarement à la charrue attelée, les parcelles de petite surface chacune, le sol léger devenant alors une qualité car moins pénible à travailler. Les pentes ne sont plus un inconvénient mais au contraire facilitent le drainage. A côté, quelques prairies appelées pâquiers permettent l’existence de petits troupeaux qui fournissent un peu de fumure notamment pour les verchères, champs fertilisés, enclos et proches des habitations. On repère l’existence de ces troupeaux dans les contrats de fermage des seigneurs du But et d’Arcinges : des moutons, quelques vaches. Les plus pauvres gardaient un droit de paisson sur les pâtures des communs (dont les actuels communaux n’occupent que partiellement la place). Enfin Arcinges et Écoche ne manquaient pas de rus et ruisseaux pour arroser les près à foin, ni de sources autour desquelles se groupent les villages, comme à la Quichère où dans un terrier de 1689 on évoque le puits commun.

 

En comparaison des conditions des campagnes de l’époque, nos territoires n’étaient pas des plus mal lotis. On peut le deviner quand on voit que des prêtres issus de familles plus aisées n’hésitaient pas  à prendre le bénéfice de la cure comme les Mathieu de Matour (familles de tanneurs et de tailleurs d’habits), Boisseaud de St Maurice lez Chateauneuf (famille de notaires), Carré de Charlieu (famille de marchands).

 

Dans cette paroisse d’Écoche, à côté des « pauvres paysans », tout au long du siècle demeurent aussi des apothicaires (Le Breton, Chavoin, Delacoste, Constantin...) notaires (Deschezeaux, Lebreton) et tout un monde d’artisans : qu’il y ait des maréchaux ferrants (Guyot, Joanard...) suppose des attelages, le travail du fer des outils ; qu’il y ait eu  des tonneliers montre la présence de vignes (confirmée par la microtoponymie) ; les moulins et leurs meuniers sont utilisés un peu pour la farine (seigle, avoine, plus rarement froment) et sans doute pour le chanvre et surtout pour l’huile. La double activité n’y est pas rare ; par exemple en 1719 Jean Larüe est à la fois tonnelier et fermier.

 

La présence de marchands est peut-être davantage liée au textile. Marchands pas toujours très riches au demeurant comme ces marchands de toiles d’Arcinges surtout qui, on le suppose,  partent vendre quelques productions,  sans doute seulement à la mauvaise saison. Il en est toutefois de plus importants comme les Batailly et surtout les Glatard venus de la vallée du Reins (Cublize, Saint Vincent) souvent exemples d’ascension sociale sur plusieurs générations : tenanciers puis grangers puis fermiers puis marchands. En ce temps là les marchandises circulaient surtout à dos de mulet ou de mule, empruntant des chemins non carrossables ou si peu. Or, dans ces conditions rudimentaires, Écoche fut un lieu de passage. Pas de route certes, si ce n’est à Cadolon la route de Beaujeu à Charlieu et à la Loire par Volaille, mais beaucoup de chemins de hauteur qui avaient l’intérêt de raccourcir les distances et surtout d’éviter les zones humides et marécageuses  (parfois encore sources de maladies). Le chemin le plus important semble avoir été celui qui venant de la croix de Rottecorde (l’actuel carrefour de la Bûche) traversait la Quichère puis descendait vers l’actuel Quartier Noir pour atteindre le Treyve des Seignes (au cœur de l’actuel village de Juin). A ce carrefour (Treyve signifie carrefour) aboutissait aussi le chemin venu du château d’Arcinges en passant par Bertillot et le But ; de là on poursuivait vers Noailly (ex petit fief de Belmont)  et essentiellement vers la Croix (Cadolon) pour rejoindre la route. Cela permettait aux marchands venus de Thizy (petit centre cotonnier) ou de Cublize (grenier à sel) de se rendre aux villes de Charlieu ou de Châteauneuf. Peut-être y faisaient-ils un peu de trafic de sel (ailleurs on a pu parler des faux-sauniers) car là, passait une limite entre le Beaujolais (Écoche) et le Mâconnais (Coublanc) : les droits de gabelle y étaient différents ; en Beaujolais, petite gabelle, en Bourgogne, grande gabelle. Cela demande confirmation.

 

 

 

Complément : on peut relier l’existence de ces passages de marchands avec le peuplement écochois ; en effet les trois ou quatre villages qui dans les « reconnaissances féodales » paraissent les plus peuplés sont à proximité des chemins évoqués ; et le village où se trouve l’église paraît au contraire moins habité (le bourg actuel).

 

*cf Caboudin et Viard,  lexique historique de l'Ancien Régime, 1990

 


Grâce aux registres paroissiaux d'Arcinges et d'Écoche, voici l'évolution de la population sur 39 ans (1720-1758)


Les courbes présentent des creux et des pics ce qui est typique de la démographie d'Ancien Régime. Par exemple pour Écoche on a un pic en 1757 ; ce pice correspond pour les 9/10 eme à une mortalité du début de l'année. Peut-être un virus particulièrement contagieux. Ainsi début janvier on enterre André Bruchet ; quelques jours plus tard Pierre Bruchet et ses deux enfants Benoit et Benoite sont enterrés le même jour; encore quelques jours c'est autour de la femme de Pierre de mourir puis ensuite l'épouse d'André.

On apprend aussi que certains morts ne sont pas enterrés  à l'église faute de moyens ; alors on célèbre leurs obsèques sous la galonnière, sorte d'auvent situé sur la façade de l'église d'Arcinges ; c'est le cas par exemple d'Antoine Magnin en mai 1735 ou de Claude Plasse en janvier 1750 : malgré ses quatre-vingts ans, il est dit être mort subitement! A Arcinges quelques personnes font des vieux os : le 16 février 1749, meurt un centenaire, le sieur Louis Beaulieu, originaire de Paris, ancien domestique de la duchesse de Choiseul puis du marquis de Chamron et qui termine sa vie comme pensionnaire à la cure d'Arcinges. A l'opposé en décembre 1751 est enterré à Arcinges un bébé de 6 mois mis en nourrice ici et fils d'un cavalier de la brigade de Thizy.

Autre cas : celui d'un sabotier travaillant dans le bois du seigneur à Rottecorde, victime sans doute d'un "accident de travail" en avril 1755.


Il y a aussi des baptêmes d'enfants illégitimes par exemple une enfant née d'amours ancillaires chez un notaire de Cours qui semble préférer la discrétion d'un village... De façon générale le taux élevé des naissances semble indiquer que dans les deux paroisses il n'existe pas de "régulation des naissances", bien loin de ce qui pouvait se passer ailleurs comme l'écrivit vers 1770 un secrétaire de l'intendant d'Auvergne Monthyon "Les femmes riches pour qui le plaisir est le plus grand intérêt et l'unique occupation ne sont pas les seules qui regardent la propagation de l'espèce comme une duperie du vieux temps ; déjà les funestes secrets inconnus à tout animal autre que l'homme ont pénétré dans les campagnes : on trompe la nature jusque dans les villages"


Exemple d'un mariage

"le neuvième desdits mois et an que dessus ont reçu du soussigné prêtre et curé de la paroisse d'Écoche la bénédiction nuptiale, sieur Claude Boizet fils de Benoît Boizet et de Anne Michel ses défunts père et mère de la paroisse de Saint Hilaire, icelui majeur et maître de ses droits et Antoinette Chavoin fille du sieur André Chavoin et de Anne Batailly ses père et mère de celle d'Écoche par eux dûment autorisée, lesdites parties ayant obtenu dispense du quatrième degré de consanguinité qui s'est trouvé entre elles, la susdite dispense insérée au présent registre et ce en présence des soussignés Noël Foyvard cousin de l'époux et de Pierre et Benoît Boizet ses frères ; et de  Antoine Vadon et Claude Dinet cousins de l'épouse tous deux de la paroisse de Maizilly qui tous ont signé avec nous de même quel'époux et le père de l'épouse, non ladite Antoinette Chavoin pour ne savoir de ce enquis selon l'ordonnance."

Texte de la dispense :

"Henri Constance par la Providence divine et par l'autorité du Saint Siège Apostolique évêque de Mâcon, savoir faisons que vu la requête à nous présentée par Claude Boizet habitant de la paroisse de St Hilaire de notre diocèse ; et Antoinette Chavoin de la paroisse d'Écoche de notre diocèse par laquelle ils nous auraient exposé que de l'autorité de leurs parents ils auraient contracté de mutuelles promesses de mariage qu'ils ne peuvent exécuter sans dispense à cause d'un empêchement dirimant qui se trouve entre eux au quatrième degré de consanguinité, que la médiocrité de leur fortune ne leur permet pas de faire venir des bulles de dispense de Cour de Rome et qu'ils ne peuvent trouver de parti plus sortable ils nous auraient supplié de leur accorder la dispense nécessaire. Vu l'information faite en conséquence le trentième du mois d'octobre dernier par la déposition de plusieurs témoins en présence du sieur curé de St Hilaire par laquelle il nous paraît que l'exposé est véritable: TOUT BIEN CONSIDÉRÉ nous avons pour la plus grande gloire de Dieu dispensé et dispensons par ces présentes lesdits Claude Boizet et Antoinette Chavoin de l'empêchement dirimant qui est entre eux au quatrième degré de consanguinité, permettons au sieur curé d'Écoche  de célébrer leur mariage en observant les cérémonies accoutumées et les formalités prescrites par le Saint Concile de Trente et déclarons légitimes les enfants qui en naîtront pourvu qu'il n'y ait point d'autre empêchement. donné sous notre Scel, le seing de notre vicaire général et les contreseings de notre secrétaire le trois novembre mil sept cent cinquante.

L'abbé de Bussy vicaire général"