Viol  et meurtre à la Font Charbonnier

Le 26 avril 1862, une femme était violée et assassinée dans les bois de Rottecorde, près de la fontaine dite de la Font Charbonnier. L’événement était relaté sobrement dans journal le constitutionnel . Voir copie de l’article in gendarmes et faits divers.

 Que peut-on  comprendre de cette tragédie ? Qui était la victime ?

 

Celle qu’on appelle alors la femme Paccard était Benoîte Marie Matray née à Écoche le vendredi 26 juin 1818 dans une famille de cultivateurs-tisserands demeurant à la Quichère dans une maison voisine de celle des Glatard. Elle avait six frères et sœurs. Elle exerce dans sa jeunesse le métier de tisseuse à domicile. A la veille de ses 27 ans, le mardi 3 juin 1945 exactement, elle épouse un jeune homme de 25 ans originaire de Cuinzier, Claude-Marie Paccard. Le jeune couple s’en va habiter à Cuinzier, au Mont Rolland où la famille Paccard exploite une petite ferme. On ignore comment les deux jeunes mariés se sont connus. Mais les deux communes étaient très proches et des Paccard habitent alors à Bertillot comme des Matray à Cuinzier. Bien que n’étant pas l’aînée de sa fratrie, Benoite est la première à se marier ; elle sera suivie par Louis-François en 1850 qui reste dans la commune chez son beau-père Laporte à Berthillot. Ce Louis-François est noté comme fabricant lors des recensements. Puis sa sœur Rosalie (ou Rose Marie) attend encore 1855 pour épouser Antoine Lacôte et venir habiter à la Forest. Enfin Claude-Marie ne se marie qu’en 1865 –il a alors 40 ans- avec une ripagérienne (habitante de Rive-de-Gier) qu’il emmène vivre en Algérie : il est employé des chemins de fer. Deux autres de ses frères et sœurs sont décédés assez jeunes. Reste avec sa mère, un dernier, célibataire, Charles-Marie. C’est lui qui est malade à la Quichère en avril 1862 et qu’elle part visiter ; peut-être aussi sa sœur Rosalie.

 

L’article précise : « cette dame appartenait à une bonne famille » et laissait sept enfants. Qu’est-ce alors qu’une bonne famille ? Sans doute d’abord une famille très catholique ; de façon significative tous ses frères et sœurs ont comme deuxième prénom Marie, pratique alors très répandue dans les milieux catholiques. Ensuite une famille à la nombreuse progéniture : sept enfants chez ses parents, sept aussi pour elle. Son père, François Matray devait être particulièrement estimé à Écoche puisqu’il fut, sous la seconde République, le deuxième maire élu (1850-1852) remplacé au moment su second empire par un maire nommé (Glatard François).

 

Donc, ce samedi 26 avril, dans l’après-midi, Benoîte-Marie décide de  rendre visite à son frère qui vit avec leur mère à la Quichère et qui est gravement malade. Comme tout le monde ou presque à cette époque, elle voyage à pied et par les chemins entre Mont Rolland et la Quichère, il n’y a guère que 6 à 7 km ce qui se fait aisément pour une bonne marcheuse de 42 ans en 1h et demie à 2 heures. Peut-être a-t-elle prévu de passer la nuit chez sa sœur à la Forest, elle aussi malade. Le chemin passe au Cergne, commune nouvelle, puis à la font Charbonnier, au Cret-Loup, à Lachal et enfin à la Quichère. L’article précise même qu’il est assez fréquenté ; les témoins sont d’ailleurs des femmes, l’une âgée les autres plus jeunes.

Itinéraire probable ci-dessous sur la carte dite d'Etat-Major, où l'on voit qu'elle emprunte le chemin des crêtes, plus facile qu'un chemin passant par les vallées.

La tragédie sordide arrive après la rencontre avec un Écochois, Lamure, lui aussi père de famille et qui se trouvait au Cergne peut-être au sortir d’un café ; on ne sait pas s’il avait trop bu. Il est dit qu’ils ne se connaissaient pas ; on peut supposer que ce Lamure était arrivé à Écoche après le départ en 1845 de Benoite Marie ;ou tout simplement qu’à cette époque dans une commune de 1700 habitants tout le monde ne connaissait pas tout le monde (il est possible qu’il habitait à Vatron ?).

On peut penser que Benoite Marie résista à son agresseur, comme le dit une personne témoin, ce qui lui coûta la vie.

Cela montre bien qu’à l’évidence l’époque n’était pas moins violente qu’aujourd’hui. Et en 2020, après le fameux épisode #metoo, les historiens démographes interprètent les choses différemment d’il y a cinquante ans. Quand dans les registres d’état-civil, on trouvait des enfants nés hors-mariage, on pensait alors à une certaine liberté sexuelle dans les campagnes ; mais aujourd’hui quand on voit que certaines de ces naissances hors mariage ne bénéficient pas d’une reconnaissance paternelle, on imagine que la mère ne fut pas consentante...

 

Le décès de la victime fut enregistré à Cuinzier (où le maire était aussi un Matray) et noté « mort violente ».

Si la mort restait fréquente à tout âge, une telle tragédie a cependant dû avoir des conséquences. D’abord sur ses propres enfants encore bien jeunes : le plus âgé a 16 ans, la plus jeune 2 ans. Cinq se marieront et donneront ainsi au moins cinq petits-enfants ; celui qui n'avait que 11 ans en 1862 meurt à 17 ans ; celle de 2 ans décède à 22 ans. Le mari ne s'est pas remarié.

 

Ensuite son frère Charles, malade, ne guérit pas et meurt à 30 ans le mois suivant (26 mai 1862) ; Rosalie décède à 33 ans dès février 1863 ; la mère, Claudine Ducrot, va demeurer chez son autre fils à Berthillot où elle s’éteint le 14 février 1865.

 

Dix ans jour pour jour après le meurtre, le 26 avril 1872, sa nièce Honorine, 19 ans, se mariait avec un voisin, François Morel, qui fut maire d’Écoche de 1887 à 1892.

Pendant longtemps, les passants se souvinrent du crime et certains plantaient de petites croix en bois auprès de la Font Charbonnier. Cette pratique de piété populaire disparut progressivement à mesure que le chemin dans la forêt  perdit de son importance au profit des routes départementales sur lesquelles les automobiles passent trop vite souvent


La lecture de l'article du Constitutionnel peut aussi témoigner de l'usage d'un vocabulaire différent d'un siècle à l'autre. Le viol est tout d'abord appelé "le dernier des attentats". Quand ensuite il est nommé, il peut sembler atténuer l'horreur du crime, alors qu'aujourd'hui il l'aggraverait.

Le premier témoin est présenté comme une "vieille femme", expression aujourd'hui considérée comme péjorative et donc "politiquement incorrecte". Et vieille à cette époque voulait sans doute dire de plus de 60 ans, ce que l'euphémisme contemporain appelle "senior".


L'auteur du crime, originaire de Saône et Loire, était fermier à Vatron , son fils de 16 ans garçon meunier au But. Au moment des faits sa propre femme venait d'accoucher d'un garçon à trois heures du matin ce 26 avril. On peut penser qu'il avait passé sa journée à trop arroser cette naissance. Peut-être est-ce pour cette raison qu'il ne fut pas condamné à mort mais au bagne de Toulon puis de  Nouvelle Calédonie où il mourut en août 1871. Sa malheureuse épouse repartie vivre dans sa famille décéda en 1873, seulement15 jours après le fils né au moment du meurtre. Une autre fille meurt en 1874 à 19 ans. La tragédie due vraisemblablement à l'alcool, avait profondément touché deux familles.


Extrait du registre des matricules

"Condamné à Montbrison le 21 juin 1862 par la cour d'Assises de la Loire pour avoir en 1862 commis 1° un attentat à la pudeur consommé ou tenté avec violence 2° un homicide volontaire qui a accompagné le crime d' attentat à la pudeur (circonstances atténuantes) à la peine des travaux forcés à perpétuité sans pourvoi.

Arrivé au bagne le 24 juillet 1862.

Détaché de la chaîne le 5 janvier 1864 et embarqué pour la Nouvelle Calédonie à bord de la frégate Iphigénie partie le lendemain"