Le marquis, bibliophile et lecteur.

 

 

 

A la fin de l’ancien Régime, le marquis Abel de Vichy possède à Montceaux une très riche bibliothèque. Le contenu  en est détaillé dans un très beau catalogue. Y sont inscrits 3396 titres, ce qui représente environ 12 000 volumes.

 

 Le soin avec lequel les livres sont classés, répertoriés indique que l’on  a affaire à un grand bibliophile ; on découvre par exemple dans son journal de bord sa satisfaction - lorsqu’il commence à aménager le château de Montceaux – à contempler des rayons déjà bien garnis.

 

Le 27 janvier 1769 : après dîner j’ai arrangé mes livres ...En tout j’ai ici cent quarante huit volumes et cent à ma mère et plusieurs autres mauvais bouquins

 

Montceaux était la demeure des Saint Georges dont il vient d’épouser l’héritière ; à partir de 1769, il va en faire son château  même s’il possède beaucoup d’autres châteaux : celui de son enfance, Chamron (sur la commune actuelle de Saint Julien de jonzy), celui de sa belle-mère à Chauffailles, ceux de Bourgogne lui venant de sa grand-mère, ceux d’Arcinges et du But sans oublier un hôtel particulier à Paris : c’est dire qu’il ne passera guère voire pas du tout par Escoches* (à la différence de ses fils). Bref, c’est à Montceaux qu’il commande des livres, principalement à un libraire de Chalon sur Saône, dont on peut trouver une correspondance dans le fonds Vichy de la Médiathèque de Roanne ou dans les archives Vichy numérisées par Claude Franckart. Quelques extraits :

 

11 avril 1788

 

J’ai l’honneur de vous adresser un paquet bien enveloppé contenant les ouvrages dont la note est au revers de la présente. Vous y trouverez tous les procès-verbaux qui ont paru jusqu’à ce jour des assemblées provinciales. D’autres vont paraître et je les aurai pareillement. Vous voyez, monsieur le Marquis, que je n’ai point perdu de temps pour remplir votre commission. Il en sera de même de toutes celles que vous voudrez bien me donner. J’apporterai toujours pour votre service le plus grand zèle et pour votre personne une reconnaissance sans bornes et les sentiments du respect véritable avec lequel j’ai l’honneur d’être votre très humble et très dévoué serviteur.

 

 -Procès-verbal du Berry, Lyon, Auvergne, Rouen, Caen, Nancy, Champagne, Isle de France, Hainaut, Tours, Picardie, Dauphiné, Haute-Guyenne, Basse-Normandie, Orléanais, Anjou

 

-Discours de Paller sur le Berry

 

-Discours de Borhame ( ?)

 

-Dialogue sur les assemblées provinciales

 

-Avantages des caisses en faveur des ( ?)

 

-Zoologie universelle

 

-Minéraux de Buffon

 

-Observations sur les eaux minérales de Bourbon-Larchambault, Vichy et les Mont Dore.
-Almanach nouveau de l’an passé Parodies dans l’esprit du XVIII° siècle

 

-Soins formés pour la propreté de la Conche

 

-Harangues choisies des historiens grecs Par l’abbé Millot

 

-Théâtre de Sophocle

 

L’éclectisme des titres est étonnant. Parfois il en fait venir par d’autres canaux, comme dit dans son journal du mercredi 1er mars 1769 J’ai écrit à Madame de la Chassagne et à Madame de Laqueuille Le siècle de Louis XV, 2 volumes,  je la prie de me l’envoyer avant la semaine de la Passion.

 

Le 13 novembre il écrit à un M. Périsse pour la souscription à l’Encyclopédie.

 

Bibliophile, il prend soin de l’aspect de ses livres. Ainsi le 31 janvier 1770 il envoie par Madame (sa femme ?) des livres à relier ; deux volumes de la Bible de Vatable tous deux marqués de mon paraphe au frontispice et à la page 531 ...ainsi que 6 autres volumes également marqués

 

 

 

Bibliophile averti, le marquis était-il aussi un grand lecteur ?

 

On peut sans conteste répondre par l’affirmative en s’appuyant sur sa correspondance avec les femmes de lettres que sont sa cousine Julie de l’Espinasse ou sa tante Madame du Deffand. On trouve par ailleurs qu’il s’abonne régulièrement à la presse de l’époque comme on voit dans cette note de son journal en 1771 :  le journal de la musique pour 1771 ; le journal encyclopédique pour 1771 ; la gazette politique des deux ponts pour 1771 ; avant coureur pour 1771 ; affiches de province . Ailleurs la gazette ;  le mercure de France ; la gazette de Berne, etc... voir image ci-dessous

 

 

 

Mais parfois l’abonnement n’arrive pas** ; le 13 mars 1769   je n’ai reçu que les gazettes

 

Sa culture elle aussi très éclectique : mathématiques, sciences, littérature, spiritualité, etc. reflète ses nombreuses lectures. De temps à autre, il évoque celles-ci dans son journal, pourtant bien sec d’habitude.

 

J’ai fini de lire les 8 volumes des journées amusantes de Madame de Gomez***. C’est un livre également instructif et amusant ; il m’a fait  un sensible plaisir à lire (9 mars 1769).

 

Et comme tout bon lecteur, il peut aimer à partager ses plaisirs avec ses amis et à prêter ses livres. Ainsi le 12 mars : Bonardet**** m’emporte les 8 volumes de Madame de Gomez et les 8 volumes de Cleveland et les 2 volumes du siècle de Louis XV.

 

Le livre circule par exemple en janvier 1790 après un retour de Bonardet, M de la Rochetulon emporte avec lui le siècle de Louis XV que je prête à M de Saint Christophe

 

 

 

Quelques passages de son journal :

 

-Le 2 avril 1769 j’ai commencé les amusements de la campagne j’ai lu l’histoire julienne. Elle est intéressante. J’y trouve cependant  dur et inhumain la façon dont elle abandonne son père.

 

-Le 5 avril J’ai lu le voyage de Falaise toujours des amusements de la campagne peu intéressant ; la fausse comtesse Desemberg un peu meilleur. Il y a cependant dans le premier un caractère de captive très bien frappé.

 

-Le 7 avril J’ai envoyé à ma femme le journal encyclopédique ; il y a dedans deux singulières recettes, l’une pour l’hémorragie, l’autre pour la fièvre maligne

 

-Le 8 avril j’ai lu le premier volume des comédies de Térence qui contient deux très  jolies pièces...l’intrigue des deux pièces roule sur deux valets...

 

-Le 28 juillet J’ai lu un petit roman Agathe et Isidore. Joli mais bien singulier.

 

-Le 12 novembre J’ai commencé l’histoire des juifs par Joseph

 

Lecteur***** mais aussi critique littéraire !

 

 

 

Notes :

 

*S’il ne va guère à Escoches, ses fermiers viennent à lui pour régler les fermes. Ainsi le vendredi 3 novembre 1769 le nommé Auvolat du domaine Chizelet est venu parler pour son fils et en même temps des réparations de la grange. En juillet, il passe quelques jours à Cours et en profite pour régler quelques affaires. Il ne semble pas apprécier les prêtres de Cours. J’ai été à la messe. Prédication de M. le vicaire sur l’envie : heureux ceux qui ne l’ont point entendue. Il refuse de dîner avec eux ; les habitants lui présentent d’ailleurs une requête contre le curé. Le 1er juillet J’ai été à Arcinges  Château ancien mais bien bâti. Il faut vendre le domaine de Montadre...J’ai passé au bois de Rottecorde, beau taillis assurément, il faut le mettre en coupes réglées. Le 2 juillet passé l’abénévis du moulin du but avec des Polette de Vauban. Il retourne à Arcinges fin décembre de la même année.

** Ce qui vient de loin arrive par le « messager » (mot qui a donné en Français actuel : messageries) ; parfois on parle du service de poste ; le mercredi 22 novembre  1769 il n’y a rien eu par la poste. Sur des distances plus courtes on utilise un porteur, par exemple en 1792, le curé d’Escoches porte une lettre de la comtesse de Chauffailles à un notaire de Roanne ; ou de façon générale entre Montceaux et Chamron car quand Abel de vichy réside à Montceaux, sa femme reste à Chamron où elle s’ennuie, broie du noir et répond aux lettres de son mari

*** Marie-Angélique  de Gomez (1684-1770 est une romancière et dramaturge  très prolifique du XVIIIème siècle.

**** Un intendant de ses domaines mais aussi un grand ami ; dans son journal du 4 février 1769  J’ai relu les lettres de Bonardet c’est-à-dire celles que je lui avais écrites de Lunéville. J’en ai brûlé une où je lui marquais que je voudrais être la poussière sur laquelle il marcherait allant à St Rigaud. Je l’ai trouvée par trop faible je l’ai brûlée. Que le caractère de l’amitié ressemble à celui de l’amour et qu’un amour pareil est cruel et qu’il est condamnable ; j’en suis confus. Je voudrais me le cacher à moi-même mais il est vrai que j’ai peur d’en avoir été amoureux. L’intérêt personnel est le dieu des hommes.

***** En ces temps, point d’électricité donc l’hiver on lit à la lueur des chandelles ou des bougies (l’hiver 1769 une livre de chandelle coûtait 11 sols ; une livre de bougies 45 sols. Et ni télévision ni ordinateur ; donc au cours des veillées le marquis aimait jouer : au whist (écrit à l’époque whisk), au piquet, au trictrac, au brelan mais il lui arrivait souvent de perdre (de l’argent !) face à ses partenaires, souvent le curé.

 


En 1782 :