Les dîmes.

 

La dîme est un impôt sur les récoltes prélevé pour le clergé. Son montant est variable. Dans la région d’Écoche il est souvent dit « de douze la treizième » ce qui veut dire que l’on récolte une part sur treize, concrètement pour le seigle, le décimateur passe dans le champ après la récolte et avant la rentrée des gerbes et prélève son dû. Mais le décimateur (celui qui prélève) n’est pas directement le curé, donc entre ce qui est prélevé sur les paysans et ce qui arrive aux curés il y a une différence. C’est souvent assez complexe.

 

En principe la dîme revient d’abord à ce qu’on appelle dans l’ancien Régime le curé « primitif » à charge pour lui d’en reverser une partie au curé « desservant ».

 

Pour Écoche le curé « primitif » est peut-être l’archiprêtre de Beaujeu puis après la création de l’archiprêtré de Charlieu, celui de Charlieu, qui n’est pas forcément celui qui réside à Charlieu et l’évêque de Mâcon est dit le collateur soit, en gros, celui qui désigne le desservant. [en 1771 l’archiprêtre de Charlieu est le curé de Saint Igny de Roche, Gacon mais le curé primitif de Charlieu est Don Uchard, prieur]. Le curé primitif  (dit parfois gros décimateur) a confié le prélèvement  à des décimateurs locaux, pour notre paroisse aux seigneurs de Verpré, du But et d’Arcinges. Ceux-ci, à leur tour confient le prélèvement à certains de leurs fermiers et grangers. Comme chacun se rémunère, ce qui est versé au desservant est une part modeste dite convenable ou en ancien français congrue. La hausse des prix fera que cette portion convenable sera de moins en moins convenable. Le sens du mot « portion congrue » évoluera pour signifier portion réduite. Face à cette situation les rois de France décident de fixer une sorte de « smic du curé » soit de garantir une valeur à la portion congrue : un édit royal d'avril 1571, la fixe à 120 livres ; une déclaration royale de décembre 1634 alloue 200 livres aux curés sans vicaire et 300 livres aux autres. En mai 1768, à condition de renoncer à d'autres taxes, les curés reçoivent 500 livres et les vicaires 200. Les parlements refusent d'enregistrer l'édit en arguant de la faiblesse de la portion congrue au regard des dépenses normales d'un curé (alimentation, habillement, domestique, cheval). En septembre1786 le roi octroie 700 livres aux curés et 350 aux vicaires.

 

Il semblerait que la plupart du temps, le curé d’Écoche recevait davantage que la portion congrue. Ainsi  pour les débuts du XVIIIème siècle, dans les archives Vichy -numérisées par Claude Franckart- on trouve ces petits papiers :

 

 « Jay reçu par les soins de Claude Marchand fermier les dixmes du But, 17 livres pour reste du supplément de portion congrue qui mest düe sur les dixmes du But de l’année mil sept cent vingt et un et aussy les 8 mesures de blé pour la même année, le 16 janvier 1721. Ray, curé d’Escoches »

 

ou :

 

« Jay reçu de Pierre Lacoste la somme de 19 livres a compte du supplément de portion congrue qui mest düe sur les dixmes du But l e 24 novembre 1720. Ray curé d’Escoches »

 

 

Concrètement : un fermier passe dans le champ et relève les gerbes ; on sait qu’en 1768  c’est un fermier de la Quichère, Claude Sarnin ; il transporte ces gerbes –sauf une partie qu’il garde pour se dédommager- au château d’Arcinges (c’est certain au XVIIIème, auparavant du moins avant le XVIème c’était au château du But) où, durant l’hiver, elles sont battues au fléau (dans une note de 1784 on indique dans les dépenses le coût du battage au château d’Arcinges) puis une partie du grain est moulue au moulin du But. Et l’on voit que la vente des grains peut être faite par divers intervenants, le curé recevant de l’argent –en général l’année suivante- et aussi du blé (en fait seigle et non froment)- tantôt du fermier collecteur, tantôt du meunier, tantôt du seigneur lui-même :

 

« J’ay reçu de madame la comtesse de Chauffailles, demeurant à Arcinges dame décimatrice de la paroisse d’Escoches la somme de trente six livres et huit mesures de blé pour la part portion du supplément de portion congrue qui mest düt pour l’année mil sept cent dix neuf à Ecoches ce treizième may mil sept cent vingt. Ray curé d’Escoches ».

 

Déjà au XVIIème, on avait le même mot mais cette fois du curé Philibert Mathieu, dont on ne sait rien sinon qu’il fut le desservant de 1632 à 1668. C’est l’occasion de voir son écriture et sa signature (puisqu’à cette époque on n’a pas retrouvé de registres paroissiaux)

 

 


Lors de sa reprise de fief en 1769 à Arcinges (papiers Vichy numérisés par Claude Franckart 388.01, page 110), le marquis de Vichy découvre le système -et veut le changer-  en proposant au marquis de Drée un échange.

Extrait de son journal (les parties mal lisibles sont en pointillés ou en rouge) :

hommes qui lèvent les dixmes ne pouvant pas les payer deux fois veulent mettre en cause ; MrThivin m’a dit de répondre posséder qui as possédé il y a 160 ans et peut-être plus qu’...et après du même................ comprise souvent les bois de chauffage du curé parce qu’elle veut bien, mais il ne le doit pas ... . Je ne sais pas encore combien il y a de domaines dans cette terre. L’administration des dixmes est bonne. Le jour de Saint Pierre ouvre les dixmes par .... on se charge de les lever, d’en apporter au château les grains convenus on laisse la paille et l’on vend le bled l’année d’après, en ramassant le blé d’année en année on en peut faire des amas, qui seront quelquefois une grande ressource.

 

Le brouillon de sa lettre à M de Drée :

Il y a en plus un dixme qui vaut à peu près 800 livres, il faut attendre ce que Mr de Drée dira.

Mon beau père m’a remis Monsieur et cher voisin la terre d’Écoches  où vous avez un dixme que je partage avec vous et sur lequel nous payons 36 livres chacun de supplément de portion congrue au curé dudit Ecoches. Nous séparons les dit dixme à la gerbe et nous en avons autant l’un que l’autre.

Le curé suivant l’arrêt de may dernier, opte  les 500 livres aux termes de l’arrêt. Il va nous faire signifier son option ces jours cy et nous serons obligés de les lui donner étant les seuls décimateurs de ladite paroisse. Par son option il nous laisse les fonds dans lesquels nous devons....par moitié. Ils consistent en un pré appelé Grand Laubépin de 8 charges de foin, la charge dans cette montagne est une charretée à deux roues tirés par deux vaches, un autre pré appelé le petit Laubépin de 3 charges, un autre appelé pré du canal...de 3 charges, 2 vignes de 3 mesures chacune, une petite verchère d’environ 4 mesures, une terre appelée pierre benet de 2 mesures et une autre appelée le fouilland de 8 mesures : vous, mon cher voisin quelle part voulez vous prendre ; voulez vous ma moitié de dixme égale à la vôtre et toutes les terres laissées par le curé et vous payerez les 500 livres de portion congrue ou voulez vous que je prenne votre moitié de dixmes et les fonds détenus par le curé, je paierai les dits 500 de portion congrue. Je crois que vous n’avez que votre dixme dans la paroisse Ecoches ; j’y ai trois ou quatre domaines, aussy je crois que le tout me convient mieux, enfin comme vous voudrez je vous en laisse le choix et le marché. J’entends... ... parce que suivant l’arrêt, nous devons l’arrérage125  et... 62.. chacun....

 

Si vous vous décidez de me laisser le tout je les prends tout de suite, nous passerons la transaction quand la première vue avec Mr Ducarre vous n’aurez qu’à me mander la part que vous.prendrez...

 

je suis désespéré de n’avoir pu encore aller vous voir, mais toutes espèces de contretemps se sont opposées au désir que j’avais de vous assurer de tous les....d’attachement avec lequel j’ai l’honneur d’être monsieur votre très humble...

 

...je vous prie d’assurer de mes respects Madame la marquise de Drée, de recevoir mes compliments aussy qu’elle de toute ma ....Mon beau-père et madame   me chargent de ne pas les oublier.

 

 


Mais de Drée seigneur de Verpré n'a pas donné suite. Et dans les papiers du château de Drée numérisés par claude Franckart, on retrouve les comptes de la dîme d'Escoches pour Verpré. Le fermier chargé de les recouvrer est en 1762 Antoine Brossette laboureur; en 1771, Antoine et son frère Philibert Brossette ; en 1771 jusqu'en 1789 Jean Buchet, marchand.

 Simple coïncidence? ces patronymes se retrouvent après la Révolution dans les noms des édiles écochois. Nihil novi?


Ainsi le curé d'Écoche recevait-il diverses portions prélevées sur différentes parties du territoire de la paroisse. De ce fait, comme fréquemment dans l'Ancien Régime, les limites de divers territoires ne se recouvraient pas puisqu'ici si certains paroissiens versaient leur dîme par le biais du seigneur du But, d'autres par celui d'Arcinges, d'autres par celui de Verpré. Soit à la fin du XVIIIème par deux agents : Sarnin de la Quichère pour Arcinges et Le But ; Buchet d'Écoche (bourg?) pour Verpré (marquis de Drée). Dans les papiers de Drée numérisés par Claude Franckart, on trouve ainsi le montant des dîmes d'Écoche que Drée reçoit en 1790 (soit encore un an après le début de la Révolution). Ce montant est de 526 livres et 10 sols -dont il faut défalquer les 36 livres à encore verser au curé Ce montant variait peu selon les années : 540 livres en 1789.  Si l'on en croit le contenu de la lettre de Vichy ci-dessus, le curé recevait 500 livres provenant pour moitié de Verpré. Ce qui signifie que le marquis de Drée a pu par l'intermédiaire de Buchet récupérer sur les habitants d'Écoche 250 livres pour le curé, 48 livres pour Buchet (appelées étrennes) et 526 livres pour lui et la portion supplémentaire soit un total de 824 livres. Et ce n'est qu'une partie des paroissiens! C'est dire si la dîme était plus pesante qu'aucun autre prélèvement féodal, on comprend pourquoi dans presque tous les cahiers de doléances, il est demandé de la réserver aux seuls curés desservants!

A titre de comparaison, Drée percevait en revenus pour lui, par la dîme de Tancon (totalité de la paroisse sans doute) 1251 Livres en 1790, 1627 en 1789. A Mars 360 Livres, à Saint-Igny seulement 30 Livres, à Belmont (une partie seulement du territoire) 466 Livres, etc...

Peut-on dire que les Écochois ont participé un petit peu à la construction du château de Drée que l'on visite encore de nos jours?

Le curé Boisseau en 1745-46 l'en tient quitte et...s'en contente!


Précisions sur la dîme au début du XVIIIème siècle.

En 1727 (archives Vichy 122 01) Marianne Rolin admodie les dîmes du But à Claude Marchand. A cette occasion, l'on apprend que pour la paroisse il existe une "grande dîme", que celle-ci est levée par moitié par le But (la dame d'Arcinges alors) et par moitié par Verpré (le comte de Damas). D'après le texte la dame d'Arcinges demande à son fermier de lever la totalité -comme précédemment- et d'en reverser la moitié dûe à Verpré aux fermiers du comte de Damas (qui sont alors Jean Perricot -ou Perricaud?- et Pierre Dinet). Il resterait alors à Claude Marchand à verser à la comtesse de Chauffailles 150 livres provenant de la vente des grains, et lapaille de 160 gerbes. Ainsi la valeur des dîmes parait inférieure à celle de 1789. Sans doute que à la fin du XVIIIème les rendements ont augmenté ou  le prix du grain ou encore que la valeur de la monnaie a baissé ; sans doute pour les trois raisons. Mais on voit l'avantage pour les seigneurs que procurait la dîme par rapport aux cens qui ne bougeaient pas.

Ceci n'est toutefois pas la totalité des dîmes écochoises. On sait par ailleurs (archives Vichy 112 01 page 210 et sq) que le curé d'Arcinges percevait depuis le 14ème siècle des dîmes grâce à un acte de fondation de Guichard de Beaujeu et de son épouse Marguerite de Poitiers (en 1356) ; dîmes prises partie sur la paroisse de Belmont, partie sur celle d'Écoche et provenant de l'ancien fief de Noailly.