Au XVIIIème siècle, querelles belmontaises qui peuvent paraître...byzantines

Dans les archives du château de Drée numérisées par Claude Franckart, on trouve sous la cote B042 une « affaire » qui se déroule autour de l’église paroissiale de Belmont entre 1729 et 1734 ; son déroulement fort long et embrouillé (près d’une centaine de pièces) éclaire de manière intéressante les complexités de l’Ancien Régime autour des dîmes. Et, bien que la situation de Belmont soit particulière, par effet miroir elle indique pour Écoche une situation plus claire*, du moins pour le XVIIIème siècle. Par ailleurs on sait que jusqu’à la fin du XXème, les habitants de Belmont ont souvent fait montre de divisions fortes, autour de l’école (cf l’étude de François Biju-Duval la guerre scolaire à Belmont-de-la Loire) ou des élections municipales ; serait-ce une résurgence inconsciente des divisions antérieures ? Au vu de cette affaire, on est en droit de se demander si la Révolution française a bien eu seule le rôle que, trop souvent, sous l’influence des seuls écrits d’origine cléricale, on lui assigne. En tout cas cela mérite plus ample réflexion.

 

Résumé de l’ “affaire” .

 

En 1729, et -semble-t-il- depuis plusieurs années, le clocher de Belmont menace de s’effondrer. Il faut faire des réparations. Les fabriciens (nom que l’on donne dans la région aux marguillers, c’est-à-dire à ceux qui gèrent les finances de la fabrique de la paroisse) déclarent n’en avoir pas les moyens. Ils en accusent un marchand chargé de la collecte des dîmes, Claude Deveaux, pour ne pas avoir assumé les devoirs de sa charge. Celui-ci répond qu’il ne le fera que lorsque la communauté lui aura octroyé une avance de 100 livres, nécessaire selon lui pour payer les frais de la collecte, y compris la nourriture des ouvriers chargés de ramasser les gerbes. Puis les fabriciens se tournent vers les gros décimateurs notamment le seigneur de Verpré. S’ensuit une kyrielle de mémoires, lettres, procès. Le seigneur rétorque, par procureur interposé, qu’il n’a pas à payer les réparations. Il utilise successivement divers arguments, plus ou moins valables, plus ou moins spécieux :

 

- la dîme qui lui revient sur une partie seulement de la paroisse (dite les Hauts de Belmont) est inféodée, donc il n’a pas à se mêler des affaires paroissiales

 

- la fabrique de Belmont a des fonds et des revenus ; ceux-ci ont été très mal utilisés y compris pour des choses profanes ; elle ne doit s’en prendre qu’à elle-même.

 

- d’autres dîmes de Belmont perçues par le chapitre de Beaujeu sont des dîmes ecclésiastiques, c’est celles-ci dans lesquelles il faut puiser pour les réparations

 

- ensuite après maints échanges et requêtes en haut lieu, il consent à n’intervenir que subsidiairement aux décimateurs ecclésiastiques.

 

- enfin, les représentants du chapitre de Beaujeu, le curé d’Arcinges, la dame de Ressins -tous décimateurs à Belmont- et le seigneur de Verpré, s’associent pour envoyer un huissier de Charlieu (Alagloriette) sommer les habitants de Belmont et leurs consuls de se réunir devant la porte principale de l’église afin de rendre compte de l’usage des biens de la fabrique.

 

Rien n’y fait. L’affaire est portée à Paris et deux Conseillers (Berroyer et Delavigne) du Palais rendent un très long rapport en 1734 sur la situation de Belmont. Ce rapport est particulièrement riche en renseignements. Nous en reproduisons quelques extraits ci-dessous.

 

Tout semblait pourtant se terminer par une sentence rendue en janvier 1733 en la sénéchaussée de Lyon et qui condamnait les fabriciens représentés par Jean Sanerot à indemniser Claude Deveaux de la somme de 90 livres 1 sol 10 deniers (comprenant les frais) ; sentence exécutoire signifiée en avril par exploit de l’huissier Marc-Antoine Alagloriette.

 

 

Mais entre 1753 et 1758, il y eut une suite puisqu’on trouve une lettre du comte de Drée (nouveau seigneur de Verpré) en réponse à une demande du chapitre de Mâcon, toujours pour « ravaler » le clocher de Belmont et dans laquelle il oppose les mêmes arguments qu’en 1732, utilisant cette fois encore le terme de « dixme laïque et inféodée ». Dans une autre note du chapitre de Mâcon il est dit qu’en 1758 les réparations devraient se monter à pas moins de trois mille livres ! Mais en 1758 le problème se double d’une querelle entre le chapitre de Mâcon et le nouveau curé (depuis 1754 et la mort de Pierre Trambouze), Vacogne. Extrait des amabilités du syndic des chanoines : « un curé qui sous prétexte de son droit de novales cherche à s’emparer des anciennes dîmes de sa paroisse, vous saurez bientôt les moyens indécents qu’il met en usage pour étayer ses demandes… »

 

 

Les complications de l’affaire montrent qu’il est difficile d’entretenir les églises paroissiales à la fin de l’Ancien Régime (soit dit en passant, Régime qui ne se pensait pas sur sa fin !). C’est la raison sans doute pourquoi au début du 19ème siècle, toutes les églises du secteur sont en mauvais état, et non pour cause directe  la Révolution. Il faut alors la reprise en main cléricale et les avantages du Concordat (les curés sont salariés de l’État jusqu’en 1905 !) pour que les curés puissent lancer des programmes de reconstruction des églises, comme Jean Chemin puis Mathieu Puillet à Écoche ; sur les difficultés de trouver des fonds pour la construction, voir l’excellent travail réalisé par l’auteur de Histoire d’une paroisse, Écoche.

 

L’église Saint Christophe de Belmont fut bâtie -et de grande taille- à partir de 1874 (financée en partie par l’emprunt).

 

Dans l’ancien canton de Belmont et dans les communes circumvoisines, les constructions d’églises se suivent : la Ville en 1825 (premières constructions) ; Sevelinges en 1826 ; Belleroche en 1829 (bénédiction) ; Cuinzier en 1829 ; Arcinges en 1840 ; Tancon en 1844 (lancement du projet) ; Saint Germain en 1846 (bénédiction) ; Coublanc en 1852 (fin des travaux) ; le Cergne en 1856 (fin des travaux) ; Mars en 1861 ; St Igny vers 1880 ; etc. Bref, en un demi-siècle seulement, toutes les églises de notre région furent (re)bâties.

*plus claire à Écoche? Pas toujours ; voir à ce propos 1718 achat du But, pargraphe final.

 

 


Quelques extraits de la sentence rendue par deux conseillers du Palais, à Paris le 29 juillet 1734

Le conseil soussigné, qui a vu les mémoires avec les copies des pièces qui suivent,

 

Premièrement des ventes faites au seigneur de Verpré dans les années 1272 et 1346 d’une partie des dîmes de la paroisse de Belmont en Mâconnais, lesquelles portions de dîmes, qui consistaient en la moitié de celles du territoire appelé de Bussy, les vendeurs déclarèrent tenir et être mouvantes du seigneur de Verpré qui les acquérait, l’autre moitié desquelles dîmes appartenait au chapitre de Mâcon ; à l’égard des autres dîmes de la même paroisse, elles appartenaient savoir, dans le territoire de Trémonzel et d’Orry au chapitre de l’église cathédrale  de Mâcon pour deux tiers et pour l’autre tiers au curé, ce qui avec des fonds dont il était en possession, servait à sa subsistance ; enfin les dîmes des autres cantons appartenaient et appartiennent encore au chapitre de Beaujeu, au curé d’Arcinges à cause d’une fondation et au seigneur de Ressins qui en jouissait comme d’une dîme inféodée.

 

Deuxièmement d’une transaction passée le 18 avril 1603 entre le curé de Belmont et le chapitre de l’église cathédrale de Mâcon par laquelle sur ce que le curé de Belmont avait prétendu que les fonds de sa cure ave le tiers de la dîme des cantons de Trémonzel et d’Orry ne suffisaient pas pour sa subsistance, ayant fait assigner devant l’official de Mâcon les autres décimateurs et ayant obtenu le 12 mars 1603 une sentence qui ordonnait qu’outre le tiers de la dîme des cantons de Trémonzel et d’Orry, il aurait encore le quart de toutes les autres dîmes de la paroisse au préjudice des autres décimateurs, de laquelle sentence la dame de Verpré avait interjeté appel devant l’official du métropolitain, le curé de Belmont et le chapitre de l’Eglise cathédrale de mâcon convinrent que le curé de Belmont percevrait à l’avenir le quart des dîmes que le chapitre percevait dans la paroisse, ensemble le quart de celles des cantons de Témonzel et d’Orry au lieu du tiers qu’il prenait auparavant sur ces deux cantons.

 

Troisièmement d’une autre transaction du 20 mai 1603 par laquelle le curé de Belmont reconnut tant pour lui que pour ses successeurs que la Dame de Verpré n’était pas tenue à la portion congrue du curé.. .attendu qu’elle et ses auteurs en jouissaient comme de dîmes inféodées  depuis un temps immémorial…….chanoines de l’église cathédrale de Mâcon…étaient les curés primitifs.

 

Quatrièmement de la sentence rendue le 2 décembre 1623 au baillage du mâconnais entre le curé de Belmont, le chapitre… et le seigneur de Verpré….attendu l’incommodité de percevoir la dîme dans les cantons de Trémonzel et d’Orry…chacun en jouit dans un canton sur le pied des portions qu’elles y avaient

 

 

Huitièmement de l’évaluation des parties …dans la paroisse de Belmont, savoir de celle du chapitre de l’église cathédrale de mâcon à 600 livres, de celle du chapitre de Beaujeu à 60 livres, de celle du curé d’Arcinges à 40 livres, de celle du seigneur de Verpré à 350 livres et de celle du seigneur de Ressins à 40 livres, le tout ou environ.

 

…..

 

Est d’avis que les questions proposées dans les mémoires doivent être décidées de la manière qu’il va l’expliquer :

 

Première question… il ne paraît pas possible que le seigneur de Verpré se dispense de payer au curé de Belmont la somme de 10 livres par chacune année.

 

Deuxième question… la transaction de 1666 ne doit pas être étendue au-delà de ce qu’elle porte... soit pour les réparations du chœur ou pour les ornements et les livres. Si les revenus de la fabrique ne suffisaient pas pour en acheter, il faudrait toujours en revenir au principe suivant lequel les décimateurs laïcs ne peuvent être inquiétés pour ces sortes de choses qu’après que les dîmes ecclésiastiques sont entièrement épuisées.

....

 

Cinquième question…que le seigneur de Verpré ne peut être obligé de contribuer aux dépenses pour les réparations du chœur et du clocher qui en compose une portion que lorsque les dîmes ecclésiastiques savoir celles appartenant au chapitre de Mâcon et au chapitre de Beaujeu seront épuisées.

 


Notes complémentaires :

-l'église de Belmont, quoique en mauvais état continuait son rôle puisqu'à sa mort, le vicaire de la Carelle fut enterré dans le choeur, sous le clocher qui, apprend-on, était situé juste au-dessus du choeur. C'est aussi dans l'église que le curé Pierre Trambouze fut inhumé à l'âge de 67 ans dont 37 ans passé comme curé de Belmont à la suite d'un autre curé Trambouze (Jean). En 1770 les chanoines de Mâcon se retournent d'ailleurs contre leur héritier toussaint Trambouze au prétexte que le curé n'aurait jamais participé aux frais du sanctuaire!

-une note signale aussi que les vêtements liturgiques sont usés.

-les chanoines écrivent coeur pour choeur. Faute volontaire? Pour indiquer que le choeur est vraiment le coeur du sanctuaire?

- Dans une note on apprend que la dîme ici dévolue au curé d'Arcinges provient d'une donation perpétuelle faite en 1346 par Guichard de Beaujeu et sa femme Marguerite de Poitiers.

-Dans une autre note on dit que Damas de Saint Haon avait acquis les dimes de Bussy au XIIIème siècle d'un petit seigneur Hugues de Bussy. Puis au XIVème, Hugues de St Haon en avait acquis sur Lancelot de Belmont.

-aujourd'hui les villages des Hauts de Belmont s'écrivent Buty, Trémontet et Doris.


En marge de cette affaire (1758).

Le 7 janvier 1758, Destre, le notaire royal d'Arcinges écrit au marquis de Drée, héritier de son oncle Damas, pour lui proposer d'unir les intérêts du marquis et du curé d'Arcinges, dans le nouveau procès intenté par les habitants de Belmont. A cette occasion il présente ses voeux pour la nouvelle année et indique qu'il n'est pas en très bonne santé : il a des crises de goutte qui succèdent à une sciatique, ce qui l'empêche de sortir...

Une autre lettre de Destre datée de septembre précise que le fermier des dîmes n'a pas été capable de trouver toutes les bornes des dîmes de Belmont. qu'à cela ne tienne, Destre les connaît et propose de retourner sur le terrain.


Et ce n'est pas fini : en 1771 le clocher menace de s'effondrer ; devant le danger l'intendant de Lyon somme les chanoines de Saint Vincent de Mâcon de faire quelque chose. Devant l'urgence ils décident de ...nommer des experts (au XXème siècle on créait une commission pour enterrer un problème). Mission des experts : voir si les habitants n'auraient pas mal bâti leur clocher ; n'est-il pas mal placé juste au-dessus du choeur? N'auraient-ils pas employé du mauvais bois?

Un passage est savoureux : Les experts firent leur rapport ..duquel il résulte que les réparations du clocher étaient très pressantes mais que le mauvais état dans lequel il se trouvait provenait autant du défaut d’entretien que de la vétusté ; ils ont encore reconnu que les habitants de Belmont ne se sont point conformés aux règles prescrites pour le placement du beffroi ; qu’après avoir placé leurs cloches par trois pièces de bois dans la tourée, ils avaient ensuite été obligés de les rmettre plus bas ce qui avait occasionné plusieurs ouvertures dans les murs du clocher, il n’est pas douteux que de pareilles dégradations ont plus contribué à la ruine que la vétusté mais il n’est pas encore temps de tirer un avantage de cette objection de ses observations contre les habitants, il faut suivre les ordres de la procédure

Dans un autre passage, les chanoines de Saint Vincent, pour limiter leur participation citent en latin une "disposition d'un ancien concile d'Orléans tenu sous le roi Clovis en 515". En réalité le concile s'est tenu en 511 et, bien sûr sans l'évêque de Mâcon.


Il semblerait que le clocher fut enfin réparé vers 1770 mais à l'économie (pour 1850 livres?)